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années plus tôt, pour sa propre consommation) nous en a envoyé 109 958… Nous lui avions vendu pour 196 026 £ de fils et appareils télégraphiques, contre 21 638 en 1895. » Cette énorme diminution s’explique par les statistiques allemandes, qui accusent un développement fabuleux des industries du fer, et une augmentation proportionnée, si ce n’est même plus que proportionnée, de leurs importations dans le Royaume-Uni.

De toutes les tables officielles ressort pour M. Williams une même conclusion. Qu’il s’agisse de lainages ou de pianos, de coutellerie ou de produits chimiques, de fils métalliques ou de livres d’images, l’Allemagne a commencé par s’affranchir des tributs qu’elle payait aux autres nations ; elle est devenue son propre fournisseur. Après quoi elle a procédé à l’inondation méthodique du globe par les produits allemands, sans épargner l’Angleterre. Pourquoi l’aurait-elle épargnée ? L’Angleterre n’était-elle pas, au contraire, l’ennemie naturelle ? Il ne peut pas y avoir à la fois, en Europe, deux reines du commerce et de l’industrie ; il faut que l’une des deux abdique ou périsse. L’Allemagne compte bien que ce ne sera pas elle, et toutes ses forces sont tendues vers l’étranglement de l’autre : « Tout ce qu’elle fait en faveur de son industrie est dirigé contre la rivalité de l’Angleterre. » Ce n’est pas M. Williams qui le dit, cette fois ; c’est un rapport officiel[1].

Il reste à trouver l’explication de sa facile victoire, ou — n’exagérons rien — de son commencement de victoire. M. Williams en propose une, et elle est curieuse, et elle a tout l’air d’être la bonne. Elle n’est pas tirée de considérations sur la main-d’œuvre ou les prix de revient. Elle se passe de chiffres, rassurez-vous ; elle est toute psychologique.

L’homme d’affaires allemand est modeste. Cela ne durera peut-être pas. Il est même sûr que cela ne durera pas, l’âme germanique étant une de celles qui se gonflent le plus vite dans la prospérité, témoin l’officier allemand. Mais enfin, pour l’instant, leurs hommes d’affaires sont modestes. Ils sont les premiers à dire qu’ils ont besoin de se mettre à l’école, et ils y mettent leurs fils, s’y mettent eux-mêmes, chez les Anglais de préférence, puisque ce sont les Anglais qu’il s’agit d’évincer. Chaque année voit débarquer dans la Grande-Bretagne une armée de jeunes hommes de bonne volonté et de prétentions modestes, qui donnent sans compter leur temps et leurs peines, qui sont doux et patiens, laborieux et souples, excellens commis, en somme, et très

  1. Rapport de la Royal Commission on Technical Education (1884).