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n’avait pas « d’idée », selon l’expression populaire, et c’est encore son défaut, mais déjà moins. L’ « idée » lui vient peu à peu, grâce aux maîtres qui travaillent sans relâche à lui ouvrir l’esprit, cet esprit si lent, mais si robuste, si bien outillé par la nature pour le mener loin dans tout ce qu’il entreprendra sérieusement, et il entreprend tout sérieusement. Le lièvre n’a qu’à se bien tenir s’il ne veut être battu une fois de plus par la tortue, et je ne pense plus ici à l’Angleterre ni au livre de M. Williams ; je pense au lièvre français et à sa confiance aveugle dans son génie d’invention, dans sa vivacité d’intelligence, dans toutes les qualités « qui ne se donnent pas », il le croit du moins. C’est justement la question ; elles se donnent peut-être dans une certaine mesure, et peut-être qu’elles se remplacent. Je crains que nous n’en ayons la révélation foudroyante à l’exposition de 1900, lorsqu’il sera trop tard.

M. Williams estime qu’on ne peut pas exagérer l’importance d’un bon système d’éducation technique, et il s’exprime très durement sur celui de la Grande-Bretagne : « Je me suis laissé entraîner, dit-il, dans le détail de l’éducation technique allemande, parce que je voulais faire embrasser à mon lecteur cette splendide organisation, qui est un facteur essentiel du succès industriel de l’Allemagne. Comparée à ce qui existe en Angleterre, c’est la lampe électrique et la chandelle de résine. »

Ses compatriotes ne sont point de son avis, parce qu’ils partent d’un autre point de vue, que beaucoup de Français partagent, faute d’avoir compris le système de pénétration mutuelle et intime entre la théorie et la pratique, qui fait la force et la fécondité de l’enseignement technique allemand. L’Anglais en est encore à les juxtaposer, ce qui le conduit à donner le pas à la pratique sur la théorie, au travail manuel sur la classe ; ses apprentis ingénieurs forgent tout le jour et vont au cours le soir, à moins qu’ils ne s’endorment : « On a l’air de croire, en Angleterre, qu’un jeune homme peut acquérir (dans ces conditions) l’instruction technique nécessaire. » Mieux avisé, et mieux partagé, le professeur allemand s’adresse, autant que faire se peut, à des élèves frais et dispos ; « l’enseignement du soir est une exception dans toutes ces écoles techniques. » Il n’en faut pas davantage pour marquer la différence d’attitude des deux peuples à l’égard de l’instruction ; objet de luxe pour l’un, de première nécessité pour l’autre ; l’Anglais la traite en esclave, l’Allemand en souveraine.

Il a la foi. Il croit que la science désintéressée est encore, tout compte fait, ce qui rapporte les gros dividendes, et l’événement