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quelque inexpérience, d’autant que les divers cépages sont souvent mélangés au hasard sans tenir compte des terrains et des expositions qui leur conviendraient le mieux. Mais la science du vigneron ne s’acquiert pas en un jour, et tandis qu’il est assez facile de transformer en quelques mois le premier immigrant venu débarqué d’Europe en un auxiliaire utile sur une station de moutons, il faut des années, on serait tenté presque de dire des générations, pour accoutumer un homme à donner à la vigne les soins délicats qu’elle exige, surtout lorsque cet homme est un Anglo-Saxon et n’en a jamais vu un cep avant d’arriver en Australie.

Aussi 23 500 hectares seulement étaient-ils, en 1893, consacrés à la culture de la vigne : c’était trois fois plus, il est vrai, qu’en 1881, huit fois plus qu’en 1861. Les quatre cinquièmes de ce vignoble appartenaient aux colonies de Victoria et de l’Australie du Sud.

Aux environs d’Adélaïde, les vignes sont très nombreuses : j’y visitai un domaine dirigé par l’un des très rares Français que j’aie rencontrés aux antipodes, un Bourguignon, établi là depuis douze ans. Des coteaux où se trouvait la propriété, la vue était charmante sur la plaine bien cultivée, coupée de champs, de vergers, de vignobles, parsemée de bouquets d’eucalyptus, et limitée par la mer à l’horizon du couchant. La netteté des contours, le bleu profond du ciel, la blancheur éclatante des routes poussiéreuses, la chaleur qui faisait monter le thermomètre à 30° en cette journée d’octobre, l’avril de l’hémisphère sud, me rappelaient l’Afrique du Nord plus encore que l’Europe méditerranéenne.

Les sarmens des vignes qu’on laisse courir sur le sol, entre les ceps plantés à grande distance, comme dans le midi de la France, étaient plus vigoureux qu’ils ne le sont au début de juin en Languedoc ou en Provence. Le régisseur français se plaignait vivement de la diversité des cépages plantés avant son arrivée, mélangés au hasard, et sans tenir compte ni de l’exposition, ni de la nature du sol ; on avait de plus, disait-il, abîmé les plants par des tailles maladroites, et ils s’en étaient longtemps ressentis. Aujourd’hui tout le vignoble était en bon état, et les 58 hectares produisaient 1 800 à 2 000 hectolitres de vin, soit 30 à 35 à l’hectare. Les trois quarts de cette récolte étaient formés de claret ou imitation de bordeaux, vin rouge en réalité un peu plus corsé que son prototype. Le reste comprenait les vins les plus variés : chaque grand producteur de vin, me disait mon hôte, a en ville un bureau où ses cliens s’adressent pour lui faire leurs commandes sur échantillons. Ils s’attendent à y trouver tous les vins