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rendre aux antipodes : or, c’est presque exclusivement en Angleterre que se recrutent les colons de l’Australie : de 1881 à 1890, 40 000 personnes quittaient chaque année les Iles Britanniques pour s’y rendre. D’autre part, les départs continuent à être nombreux et s’étendent à toutes les colonies : en 1895, la Nouvelle-Zélande a de nouveau perdu des habitans comme elle l’avait fait de 1888 à 1891.

Malgré ces côtés défavorables, les immenses ressources de l’Australie permettent d’espérer qu’elle surmontera définitivement l’effet de cette crise. Par une heureuse chance, les mines de l’ouest ont été découvertes au moment précis où chancelait la prospérité des grandes colonies de l’est, et ont retenu sur l’Australie l’attention du monde : la fortune n’a pas voulu abandonner tout à fait ce pays qu’elle avait tant gâté. D’ailleurs, la crise a permis aux colons de montrer qu’ils avaient en eux-mêmes de grandes réserves d’énergie et d’initiative. Voyant diminuer les gains qu’ils tiraient de leurs anciennes industries, comme la laine, ils ne se sont pas découragés ; ils en ont cherché de nouvelles ; et c’est au plus fort de l’ébranlement financier que la colonie de Victoria a commencé d’exporter sur une grande échelle des viandes congelées, du beurre, des fromages. Pour que la prospérité leur revînt, il faudrait seulement que ses habitans montrassent un peu de sagesse et cessassent de se croire destinés à guider le monde dans les voies de la rénovation sociale ; il faudrait aussi qu’ils fussent convaincus que certaines lois économiques, celles-là surtout qui concernent le crédit et la monnaie, sont aussi immuables et universelles que les lois physiques, et que les pays neufs ne peuvent pas, plus que les vieilles contrées, les violer impunément. Si la crise de 1893 avait pu leur apprendre ces vérités, elle aurait peut-être été un bienfait. De toutes manières l’ère des booms, des spéculations désordonnées, est aujourd’hui terminée pour l’Australasie. Il ne dépend que de ses colons qu’une immigration d’hommes et de capitaux aussi nombreuse, mais plus saine, que celle qui s’y est précipitée naguère s’y porte de nouveau pour développer les vastes ressources inexploitées qu’elle renferme encore.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.