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conscience, et que nous appellerions aujourd’hui lois sur la presse, sur les sociétés, sur le travail, et enfin lois réprimant l’homicide. Il ne fait que passer à Toulouse : le Parlement venait de publier un édit pour réglementer les réunions d’étudians ; il prononce deux discours où il blâme le Parlement, attaque les magistrats qui empêchent les étudians de se réunir, attaque les étudians d’une autre « nation » que la sienne, s’emporte contre la barbarie et la sottise des Toulousains. Le succès de cette éloquence, ce fut qu’il y eut des troubles parmi les étudians. Le Parlement supprima les réunions et bannit Dolet pour excitation à la révolte. Il arrive à Lyon. A peine installé, il se mêle aux querelles entre ouvriers et patrons ; ce n’est pas pour les apaiser : Dolet est admirable pour faire battre les gens entre eux. Il s’en faut d’ailleurs qu’il ne soit violent qu’en paroles. Le dernier jour de décembre 1530, il tue de sa main le peintre Compaing, d’une bonne famille de Lyon. L’empressement qu’il mit à quitter la ville, les difficultés que fit la cour de Lyon pour enregistrer les lettres de pardon, rendent malaisé de mettre le meurtre uniquement sur le compte de la légitime défense. La grande protectrice des lettrés, Marguerite de Navarre, intervint. Le roi pardonna. De retour à Lyon, Dolet refuse de se soumettre aux conditions stipulées dans le privilège royal pour l’impression des livres, publie des livres suspects d’hérésie, vend des livres de Genève. C’est à l’instigation des maîtres imprimeurs et libraires qu’il est accusé et condamné. Le roi pardonne pour la seconde fois, et l’évêque de Tulle, Pierre Duchatel, obtient pour Dolet des lettres de grâce qui lui rendent sa liberté et ses biens, « ses bonnes famé, vie et renommée ». Dolet va-t-il consentir à se tenir tranquille ? En 1544, un paquet de livres prohibés portant son nom est saisi aux barrières de Paris. Conduit en prison il s’échappe sans beaucoup de peine au bout de trois jours et profite de sa liberté pour publier un dernier volume qui donne lieu à un nouveau procès, dont on ne peut dire qu’il fut tranché à la légère, attendu que l’instruction n’en dura pas moins de deux ans. C’est cette troisième sentence capitale qui fut exécutée. Coupable de mort d’homme et de dix années de désobéissance aux lois, ce n’est pas comme « athée relaps » que les magistrats frappèrent Dolet, c’est comme récidiviste.

Sème la discorde, prodigue l’insulte, trahis tes amis, frappe tes adversaires, traite les lois de ton pays comme si elles n’existaient pas, et ton nom sera honoré parmi les hommes, — déclare Dolet du haut de son socle.

Allons tout de suite, dans notre pèlerinage vers un autre ouvrier de l’affranchissement de l’esprit. On a représenté Diderot en train de causer. On ne pouvait mieux faire. Sa conversation était éblouissante : c’est là qu’il excellait. Il est assis dans un fauteuil d’où il se soulève à demi, emporté par sa verve et par son besoin de gesticuler. C’est bien ainsi qu’on put le voir, dans les salons, dans le « sublime palais de la