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millions chaque année : « Et tout ce qu’on ne déclare pas ! »

Nous n’avons pas idée de cela à Paris ; nous vivons dans un petit cercle de sceptiques instruits et spirituels ; nous ne voyons pas le gros public, la grosse France. Nous autres écrivains, nous avons besoin plus que personne d’apprendre ces faits. Qu’est-ce que peut lire un homme à redingote noire et à gants corrects de province, marchand, fonctionnaire, noble, campagnard, propriétaire ? Presque rien. Ils sont en dehors de notre vie. — Dans ce marais stagnant s’étend le filet ecclésiastique. Les vieilles dames, les pères devenus conservateurs avec l’âge, font des legs au clergé. Nulle excitation, nul renouvellement d’esprit : le culte avec ses pompes, l’habitude, le poids de la tradition, la litanie solennelle indéfiniment répétée, les ramènent à la vieille routine. De là le tapage causé par la Vie de Jésus ; c’est comme une pierre qui tombe dans un étang de grenouilles.

Nous discourions à table sur les conséquences probables d’un pareil état ; le catholicisme s’atténuera-t-il, comme le croit M. Guizot, à la façon du paganisme sous Julien, en se transformant, en s’interprétant, en acceptant une tournure symbolique ? Je ne crois pas, pour mon compte, que jamais un professeur dans un séminaire fasse, comme M. Michel Nicolas, de la critique ou, comme Jamblique, du symbolisme. L’avenir qu’on peut le plus raisonnablement prévoir, c’est une suite de pléthores et de saignées, Les gens d’église s’enrichiront pendant cinquante ans de paix, et quand les révolutions viendront, on leur prendra leurs biens. Mais ces purgations périodiques violentes sont malsaines.

Ici, toutes les sociétés sont séparées. Il n’y a qu’une maison mixte, chez une vieille dame où M. B… voulait me conduire hier soir. — Beaucoup de petits nobles, des familles ayant de dix à trente mille livres de rente ; on passe trois mois à Toulouse avec un luxe tel quel, et le reste du temps à la campagne pour faire des économies. On fait un aîné ; les cadets tâchent de se marier richement ; pêcher à la dot est leur grosse affaire. Nulle occupation ; il n’y a qu’un emploi qu’ils consentent à rechercher, celui d’officier, officier de cavalerie. — Au-dessous sont les fonctionnaires, puis les bourgeois, les enrichis qui sont grossiers, bien moins polis que dans le Nord. Ils ne donnent pas trop dans la mangeaille, et ils ont une maison de campagne, une voiture.

Mauvaises mœurs ; aventures de toutes espèces et de tout degré. Les jeunes gens riches n’ont pas d’autre occupation. — Ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’on dit la même chose dans tous les centres.

Voyez dans Gœthe le contraste de la bourgeoisie allemande ;