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simplicité et la grandeur du paysage ; comme la tragédie et la sculpture grecques, il se compose de deux ou trois choses, rien de plus. Une raie de rochers violacés et tendrement veloutés à droite ; en face, une autre raie âpre, noirâtre, en repoussoir devant le soleil couchant ; la mer unie, hérissée de tout petits flots uniformes, le grand ciel de saphir, cela se comprend d’un coup, et chaque partie est grande.

Cette longue arête des rochers du Lazaret s’allonge comme une échine tranchante, âpre, cassée, avec des pointes et des angles d’une netteté architecturale, toute noire dans la flamme pourprée qui embrase la brume lointaine. Au pied les flots bleus jouent et s’étalent comme des poissons qui jouissent des derniers rayons.

Mais ma plus belle promenade est celle d’hier matin, à Redon, avec P… Non pas le commencement ; il a voulu me montrer la partie originale de Marseille, la villégiature, les Cabanons, les Grilladous, cela est comique et affreux ; tout Marseille et tous les environs se composent de mamelons nus, âpres, escarpés, formés de pierre blanchâtre, tranchante, fendillée qui s’effondre, coupés de murs et de petites maisons de campagne rôties au soleil ; c’est une sorte de lèpre bourgeoise ; rien de plus laid et de plus fatigant ; on dirait qu’on marche dans un fond de bouteille cassée, peuplé de tessons. Baraques improvisées de tout genre, linge qui sèche, gargotes, murs de pierres entassées sans ciment, et, ça et là, un malheureux olivier. Tous ces gens-là se contentent du soleil et du ciel et n’ont pas besoin d’arbres.

Cependant, en avançant, des jardins, des pins se montrent. M. Talabot a fait amener de Sicile 60 000 voitures de terre et en a couvert une colline qu’il a plantée. Il a l’eau perdue du canal, ce qui lui fait une ample cascade. — Nous nous sommes assis sur des rochers qui surplombent. Ils sont tout concassés, blancs, mais d’un beau blanc de marbre qui est en harmonie avec le soleil. Dans les fentes pousse une sorte de plante grasse, et les abeilles bourdonnent à l’entour. La mer vient baiser la plage, ou heurte doucement les roches mouillées. Elle est si transparente qu’on voit le fond à trois pieds, — les eaux de cristal des Pyrénées ne sont pas plus pures. Les inégalités de l’eau font sous le soleil un treillis doré et, sous ces topazes mouvantes, le sable uni, les algues verdâtres ont une grâce infinie.

Impossible d’exprimer la beauté de cet azur illimité, qui s’étale de tous côtés à perte de vue ; quel contraste avec le dangereux et lugubre Océan ! Cette mer est une belle fille heureuse, dans sa robe de soie lustrée toute neuve. Du bleu et encore du bleu rayonnant, jusqu’au bout, jusqu’au fond ; l’horizon manque.