Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hochant la tête, les vieux diplomates. Et ils avaient raison, avec leur air de radoter ; l’Europe au sens diplomatique du mot, l’Europe agissant d’accord, comme une personne vivante, en vue d’intérêts communs, paraissait bien finie. Elle n’avait pas survécu aux violences de la politique bismarckienne, et il semblait qu’un miracle seul pût la ressusciter. — Le miracle, — est-il déjà permis d’y croire ? — s’est accompli ; et par qui a-t-il été opéré, sinon par ceux que l’on dénonçait naguère comme les ennemis nés de la paix européenne ? Cette Europe qu’avaient laissé périr les empereurs et les rois de droit divin, si elle a l’air de renaître, c’est l’entente de la République française avec le tsar russe qui la fait revivre. Cela tient en vérité du paradoxe, et cela pourrait bien être une réalité. Le voyage de l’empereur Nicolas II en témoigne. L’empereur Alexandre III, le tsar pacificateur, en nouant l’alliance franco-russe lui avait donné le caractère pacifique qui seul convenait à son cœur de chrétien et à sa conscience d’autocrate. L’empereur Nicolas II, en continuant l’œuvre politique de son père, aura eu l’honneur d’avoir fait, ou d’avoir tenté quelque chose de plus. Il ne paraît pas se borner au rôle de gardien de la paix de l’Europe, il semble aspirer à être le restaurateur du concert européen. Tel paraît bien, du moins, avoir été, pour son jeune souverain, l’ambition du ministre que la Russie et le tsar viennent de perdre, et n’eût-il fait qu’y réussir, durant une saison, le prince Lobanof aurait bien mérité de l’Europe.

Le rétablissement du concert européen, si tant est qu’il ne soit pas prématuré de le célébrer, la France y a volontiers prêté la main, heureuse d’y retrouver sa place, en dépit de ses révolutions et de sa forme de gouvernement. Cette place que les monarchies anciennes contestaient, autrefois, à ses rois issus de l’émeute, ou à ses empereurs sacrés par un vote populaire, les dynasties héritières de la sainte alliance la concèdent, de bonne grâce, à la République française. Ce n’est pas seulement. qu’elle se présente en compagnie de la Russie, sous l’égide et comme sous le patronage de la puissance autocratique la plus obstinée jadis à tenir à l’écart les Louis-Philippe ou les Napoléon ; c’est que l’esprit de l’Europe a changé ; que, sauf au sud des Alpes, peut-être, les cours, ne craignant plus guère la contagion républicaine, ne se croient plus tenues de faire grise mine à la République. On peut dire d’elle qu’elle sera bien reçue, partout, tant qu’elle sera correcte, ou tant qu’elle sera sage, — bien que, au milieu des têtes couronnées et des monarchies, elle semble souvent, dans un monde étranger, un peu comme une invitée sans naissance et sans relations au milieu d’hôtes de haute origine ; et