Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en homme qui préfère la vie de camp à la vie de cour, que l’empereur allemand a reçu le tsar russe. L’empereur Nicolas II a passé en revue cette armée toujours tenue en haleine qui, après avoir fait la Prusse, a fait l’Allemagne ; devant lui ont marché en rangs serrés les jeunes fantassins de deux ans de la nouvelle loi militaire allemande, et derrière ces jeunes soldats, il a vu défiler, en troupes bigarrées, les robustes vétérans des grandes guerres. Tsar russe et Kaiser allemand, Breslau a pu admirer, chevauchant côte à côte, pareils sous leur moderne uniforme à deux dieux terrestres, les deux souverains du monde chrétien, ou mieux les deux potentats du globe qui détiennent le plus de pouvoir parmi les hommes ; car, tous deux, avec des formes différentes, peuvent, presque également, se vanter d’être autocrates, c’est-à-dire de commander par eux-mêmes, sans avoir, au-dessus d’eux, d’autre autorité que le Ciel. Tsar russe et Kaiser allemand, deux Césars, maîtres de leurs armées et de leur empire, autant que d’eux-mêmes, tous deux portant en leur main fermée la paix du monde. Un caprice, un emportement d’un de ces hommes, dont le plus âgé touche à peine à la maturité, un ordre, un mot, une signature, un télégramme, et l’Europe, éprise de paix, et l’univers civilisé sont précipités dans la plus effroyable des guerres qui aient encore ravagé la planète. En ce sens, ils n’ont pas d’égaux, ces deux empereurs, même parmi les souverains des nations rivales ; ils sont sans pairs ni pareils sur la face du globe ; et peut-être est-il heureux, pour le monde, qu’ils soient deux, car cela seul est, pour chacun, comme une limite ou un frein. Tous deux jeunes, et chefs de deux Etats, eux aussi, relativement jeunes ; tous deux héritiers d’une tradition d’agrandissement continu et comme parallèle ; issus de deux maisons maintes fois alliées, dont l’amitié plus que séculaire, comme s’est complu à le rappeler Guillaume II, parut longtemps un dogme dynastique, ils semblent, l’un et l’autre, avoir pleine conscience de la hauteur de leur fonction d’empereur-roi ou de tsar autocrate.

Quoi que pense la France de Guillaume II, en dépit de ses bravades tudesques, de son activité quelque peu brouillonne, de son imagination mystique et de ses allures féodales, c’est un homme, et c’est un souverain. Il a mûri, depuis son avènement et son émancipation de la tutelle bismarckienne, et voilà que, grâce à Nicolas II, il a cessé d’être le jeune empereur. En lui, sous le revenant du moyen âge, tout plein de réminiscences des Othon et des Barberousse, semble percer l’homme moderne. Entre tous les souverains qui occupent aujourd’hui la scène du monde, Guillaume II est encore celui qui apporte le plus d’entrain, le plus