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peut-être Leipzig, épuisent la liste. Partout ailleurs, c’est-à-dire dans treize autres universités, les écoles dites incroyantes sont maîtresses ou en passe de le devenir. L’école de Ritschl, surtout, fait de constans progrès ; au dire du journal de M. Stoecker, elle exercerait une sorte de terrorisme ; elle a conquis Giessen, grâce à l’habileté zélée du professeur Stade ; elle entreprit, dès la mort du théologien Lipsius, libéral de vieil aloi, la conquête de Iéna ; ailleurs, ce sont les orthodoxes qu’elle détrône, toute prête à continuer cette série d’étapes que M. le professeur Nippold, un de ses féroces ennemis, dénonçait naguère en un livre amusant et bizarre, — cinq cents pages de cancans. La revue Die christliche Welt, dirigée par M. le pasteur Rade, de Francfort-sur-le-Mein, signalée comme très dangereuse par les orthodoxes, à la conférence d’août de l’année 1893, et comptant d’ailleurs beaucoup plus d’abonnés que tout autre périodique théologique, propage, avec une discrète activité et une dextérité souveraine, dans les sphères universitaires, tous les principes, tous les argumens, toutes les tendances de la théologie « moderne ». Aussi, en face des autorités administratives, qui par déférence envers les croyans maintiennent les dehors de l’orthodoxie, se multiplient et s’enhardissent les autorités enseignantes qui en affichent et en justifient le dédain.

Les premières prétendent aviser aux intérêts de l’Eglise, les secondes se réclament de la science. Or, à la science enseignante, l’Allemagne religieuse est si bien accoutumée à reconnaître tous les droits, que les professeurs de religion des gymnases, dans le grand-duché de Bade, approuvent publiquement les négations les plus téméraires, et que M. Schrempf, gêné dans le ministère liturgique par le sentiment de son incroyance, souhaitait être chargé d’un cours d’instruction religieuse. Pour mettre un surintendant à l’angoisse, il suffit de le cerner entre deux questions, dont l’une l’invite à sévir contre les audaces universitaires, et dont l’autre le lui défend. « Pourquoi tracassez-vous certains pasteurs incroyans si vous tolérez les incartades des professeurs incroyans ? lui demande-t-on d’abord. Vous respectez les pères et vous opprimez les fils ; vous épargnez les grands et vous maltraitez les petits. » Si le surintendant, comme il advient en général, a l’âme bien placée, son équité naturelle s’éveille ; il projette des sévérités. Mais une autre question suspend son bras et, en un bégaiement, fait expirer ses anathèmes : « De quel droit enchaîneriez-vous la conscience et les recherches des professeurs incroyans ? Thomas était un docteur, moi aussi je suis un docteur, disait ce Jean Wessel en qui Luther saluait un précurseur ; comme Luther et comme