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par derrière. Ce fut ainsi que l’usage et le pacage eurent raison de centaines de milliers d’hectares.

De-ci, de-là, il est bien opposé quelque digue à ces envahissemens, comme aux abus des usagers que l’on essaie de faire jouir en bons pères de famille. En certains cantons de l’Ile-de-France, les droits de pâture ne peuvent être exercés que dans les taillis âgés au moins de trente ans. On inflige à Gray, en Franche-Comté, une amende à deux hommes qui ont abattu un chêne « parce qu’ils le croyaient mort, tandis qu’il avait encore du vif. » Pour prévenir le gâchage, une transaction intervient à Allan, en Dauphiné, entre le seigneur et ses vassaux (1464), portant que nul ne pourra couper des poutres pour sa maison sans la permission du seigneur, qui ne pourra la refuser. Si, après avoir coupé ces poutres, il les laissait pourrir sur place, le vilain devrait en payer le prix à dire d’expert au profit de la commune.

Mais ce fut seulement au milieu du XVIe siècle, avec l’accroissement de la population, que les intéressés commencèrent à se préoccuper sérieusement de la déperdition inutile des arbres. Dans telle paroisse où, cent vingt ans auparavant, on reconnaissait à tout le monde le droit de couper du bois pour son usage ou pour le vendre, un accord de 1551 déclare que « ni le seigneur ni les habitans ne pourront en couper que pour leur provision et ustensile. » La durée du pacage est bornée alors en quelques forêts : il commencera au 15 mars pour finir au 1er octobre. A d’autres égards les déboisemens, opérés sans aucune règle, avaient leurs dangers ; la population s’en apercevait. Le vice-légat d’Avignon défend, dans le Comtat-Venaissin (1595), « de dépopuler les bois et de faire aucun essart aux montagnes, attendu les grands dégâts que cela apporte au plat pays. »

Quelques gentilshommes, pour mettre fin à la communauté orageuse qui existait entre eux et les usagers, s’efforçaient de divorcer à l’amiable : le duc de La Trémoille offrait aux paysans de Benon de renoncer à leur droit sur la totalité de cette forêt, contre l’abandon en toute propriété d’une partie du sol (1599) ; mais tous les suzerains n’étaient pas aussi raisonnables. Puis, quand il s’agissait de traiter, de définir les droits réciproques, le campagnard sentait obscurément sourdre dans sa cervelle les prétentions inavouées des aïeux à la possession exclusive du bois, comme de la lande. La tradition confuse du communisme foncier, que pratiquent toutes les sociétés humaines dans leur enfance et dont tant de vestiges subsistaient encore, le rendait hostile au partage. « Nous avons des griefs au sujet des bois », disaient dans leur manifeste de 152a les paysans révoltés de l’Alsace, qui pourtant, moyennant quelques pfennings par arpent, jouissaient de