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pas sauvé les artisans des « œuvres de maçonnerie » qui en faisaient partie, non plus que les ouvriers isolés de la campagne, des privations que leur imposait la baisse des salaires.


VI

Ce que nous venons de dire du maçon s’applique à l’ensemble des corps d’état du moyen âge. Si nous avons pris celui-là pour type, c’est que sa paie actuelle (3fr. 40) s’écarte peu de la moyenne des salaires ouvriers en 1896, dont le taux, d’après les statistiques officielles, est de 3 fr. 53 dans la grande industrie — comprenant 3 millions de personnes — et de 3 fr. 20 dans la petite industrie — occupant 6 millions d’individus. — Cette profession nous a paru capable aussi de refléter plus fidèlement que beaucoup d’autres les variations séculaires que nous étudions, parce que la nature du travail ne s’y est guère modifiée. Quantité de besognes qui ont occupé les bras d’il y a cinq cents ans — ceux des écrivains, enlumineurs, potiers d’étain, tisserands, fileuses, etc. — n’existent plus ou sont en train de disparaître. Quantité d’autres ont tellement changé que l’on ne peut les comparer sincèrement aux anciennes ; elles exigent plus ou moins de force, plus ou moins d’intelligence que jadis. Tout ce que nous appelons « grande industrie » (métaux, mines, textiles) rentre dans cette catégorie. Il y a trois cents ans, toute industrie ne pouvait, légalement et matériellement, être que petite ; et parmi ces ouvrages qui composent notre « petite industrie » actuelle, il y a des métiers nouveaux — carrossiers, imprimeurs… — et des métiers transformés, bien qu’ils portent les mêmes noms : les vitriers contemporains n’ont vraiment rien de commun avec les verriers du XIVe siècle, dont la plupart étaient peintres, ni les tapissiers de 1896 avec les haut-liciers de 1500.

Les chiffres que j’ai recueillis sur les divers corps d’état de l’alimentation ou des tissus, de l’ameublement, de la métallurgie ou du bâtiment, suffisent d’ailleurs pour établir que leur rétribution était naguère, vis-à-vis les uns des autres, dans le même rapport qu’aujourd’hui. La moyenne en France — Paris non compris — est actuellement pour les charpentiers de 3 fr. 70, pour les couvreurs de 3 fr. 65, pour les peintres en bâtiment de 3 fr. 40. Ces diverses payes se rapprochent donc fort de celle du maçon. Il en était de même au moyen âge. De 1200 à 1350, les charpentiers gagnent 3 fr. 35 ; les peintres et couvreurs 4 francs ; dans la seconde moitié du XIVe siècle, les mêmes corps d’état reçoivent 3 fr. 50 et 3 fr. 80. De 1401 à 1450, les couvreurs, les peintres et les charpentiers touchent, à quelques centimes près,