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confirmant les appréciations de ceux que préoccupaient de fâcheux indices, ont prouvé que ce que la France produisait le moins en ce moment était des hommes. Stationnaire, ou à peu près, au point de vue de la natalité, en présence de voisins et de rivaux dont la population s’accroît, la France agrandit son domaine colonial au moment précis où elle semble le moins en mesure de le peupler.

Entre ces deux courans de faits et d’idées, la contradiction est flagrante, et tous deux cependant résultent d’impérieuses nécessités. Sous peine de nous laisser devancer par nos concurrens, force nous est de maintenir notre influence extérieure ; force nous est de fortifier notre situation coloniale dans cette Afrique que l’Europe dépèce, dans l’Océanie que l’Europe convoite, sentant approcher l’heure du partage ; force nous est plus encore de conserver ce que nous avons payé de tant de sacrifices sous peine de déchoir et d’abandonner à d’autres le fruit de nos efforts.

Problème insoluble, si l’on pose en principe que toute expansion coloniale exige un accroissement de la population chez la mère patrie ; qu’elle exige en outre de cette population l’instinct nomade, l’esprit d’aventure, puis aussi le désir de fortune rapide, l’emportant sur les goûts de bien-être restreint, mais assuré, l’ambition enfin, sans issue le plus souvent dans un ordre social où chacun a sa place marquée et son horizon limité. De ces conditions, les unes ne se rencontrent pas en France, les autres n’y existent qu’à l’état d’exceptions. Pour les trouver réunies, il faudrait remonter, en Europe, au XVIe et au XVIIe siècle, à la découverte de l’Amérique, aux expéditions espagnoles et portugaises, hollandaises, anglaises et françaises, dont l’élan fut irrésistible. Plus près de nous, les quelques années qui suivirent la découverte de l’or, en Californie et en Australie, donnèrent à l’émigration une impulsion nouvelle, promptement épuisée.

Problème soluble cependant, si l’on reconnaît que le nombre n’est ni l’unique ni le principal facteur de la suprématie d’une race. Dans l’Algérie, conquise depuis plus d’un demi-siècle, depuis quarante ans à peu près pacifiée, nous comptons à peine 400 000 Français et le nombre des indigènes y dépasse 3 millions. Si grande que soit la disproportion qu’indiquent ces chiffres, elle n’est pas pour alarmer. Une poignée d’hommes administre et gouverne les Indes néerlandaises ; une poignée de fonctionnaires, quelques milliers de marchands et de colons, 60 000 hommes de troupes, en partie indigènes, suffisent à l’Angleterre pour maintenir l’ordre dans l’Inde peuplée de 200 millions d’Hindous. Et cependant Calcutta est à vingt jours de Londres, tandis qu’Alger n’est qu’à quarante heures de Paris, à vingt-quatre de Marseille notre grand