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III

En étudiant de plus près cette ville étrange et attrayante, des discordances me frappent ; à les analyser, je les reconnais éphémères et transitoires. Je me rappelle les avoir vues ailleurs, plus crues et plus accentuées encore, et, quand je suis repassé, elles n’existaient plus, comme elles n’existeront plus ici dans quelques années. Par ce mot de « discordances », j’entends une négligence d’allures et de langage chez beaucoup d’hommes qui contraste avec la tenue correcte et la mise soignée des femmes ; puis une incurie fâcheuse qui fait trop souvent des rues d’Alger des mares de boue alternant avec des trombes de poussière. On aurait tôt fait d’obvier à cet inconvénient ; quant au premier, il est la note caractéristique de toutes les colonies de peuplement. Le temps aura raison de ces ombres au tableau que les étrangers notent et signalent et qui, plus qu’on ne le croit, nuisent au bon renom d’Alger au dehors. Avant d’en faire et pour en faire une ville d’hiverneurs, ce à quoi elle paraît prédestinée, il importe d’en faire une ville propre. La nature l’a richement dotée ; à ses habitans de parachever son œuvre.

Puis, on ferait fausse route en voulant rivaliser avec les villes du littoral méditerranéen sur un terrain où on ne saurait les égaler ni les surpasser. Alger n’est pas Nice, non plus que Nice n’est Alger. Les plaisirs, les distractions, les amusemens mondains qui sont de mise chez la « Reine de la Provence fleurie » détonneraient ici. C’est dans un autre ordre d’idées qu’il convient de chercher, et que des hommes intelligens trouveront les moyens de détourner au profit de leur ville bon nombre des riches étrangers qui vont demander à la côte d’azur un climat plus doux et des cieux plus démens que ceux du Nord. Alger possède des élémens d’attraction qui font défaut à l’étroite bande de terre où se groupent les stations hivernales à la mode. Ses merveilleux environs, son Sahel ensoleillé et boisé, les bosquets d’orangers et de citronniers de Blida, la riche plaine de la Mitidja, Cherchell et Fort-National, la Kabylie, les gorges du Chabet-El-Akra et de la Chiffa, Timgad. la Pompéi africaine[1], et Tlemcen, Laghouat et Biskra, les oasis ombreuses et le désert sans fin sont pour séduire les peintres, les archéologues, les touristes et les oisifs. Ils sont pour ouvrir à l’imagination curieuse, comme à l’observation intelligente, un champ infiniment varié de sites, de coutumes, de mœurs et de vie qui contraste avec l’existence que l’on mène dans les stations

  1. Voir la Revue des 15 août et 15 novembre 1894.