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défense à la mère-patrie. Puis d’impraticables suggestions soi-disant empruntées au système colonial anglais, des comparaisons et des accusations échafaudées sur l’ignorance ou l’inintelligence des faits. Les preneurs de panacées abondent. Il est si facile de faire miroiter aux yeux un ordre de choses idéal, de mettre au service d’une idée, plausible en apparence, chimérique en réalité, de grands mots et de grandes phrases, et d’estimer pratique ce que l’on tient pour bien dit.

Les plus réfléchis et les plus intelligens parmi ceux des Algériens avec lesquels j’ai eu, ici et ailleurs, l’occasion de m’entretenir de ces questions, sont, au demeurant, partisans de l’organisation actuelle ; par certains côtés elle se rapproche de l’organisation coloniale anglaise, par d’autres elle en diffère. Aux Indes, comme en Algérie, l’exercice du pouvoir est délégué aux mains d’un civil : voilà pour l’analogie. Mais en Algérie, le gouverneur général est, en tant que civil, sans prestige militaire, inconvénient grave pour un personnage appelé à gouverner des races chez lesquelles le respect pénètre par les yeux, qui ne s’inclinent que devant la force et l’appareil visible et tangible de cette force. Une pompe, même un peu théâtrale, des marques extérieures et sensibles en imposent à leur imagination. Elles ont peine à admettre l’autorité supérieure incarnée en un homme que rien, dans son costume, dans sa manière d’être, dans son mode de vie, ne distingue de ceux qui l’entourent, que son entourage militaire même relègue involontairement dans l’ombre, attirant sur les brillans uniformes l’attention qui se détourne de lui. Puis, l’obligation, pour le gouverneur général de l’Algérie, d’osciller perpétuellement entre Paris, où l’appellent les explications à donner aux ministres ainsi que son budget à défendre devant les Chambres, et Alger, où le réclament l’expédition des affaires et l’étude des questions locales, provoque les critiques et affaiblit son autorité en le condamnant à une existence instable et nomade, en exagérant la dépendance où il est de l’autorité centrale et la constante nécessité d’en référera elle.

Les Anglais ont su conjurer la plupart de ces inconvéniens. Outre que la distance plus grande entre la métropole et l’Inde n’autorise pas des déplacemens fréquens et permet au vice-roi des Indes de garder ce que les Hindous appellent « la majesté du repos », ils ont, tout en maintenant le principe de l’autorité civile, rehaussé le prestige de cette autorité en l’affranchissant de toute apparente sujétion, en faisant appel, pour l’exercer, aux représentans de la plus riche et la plus puissante aristocratie qui soit au monde. Au prestige que donnent la naissance et le titre, la