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Où sont, dans tout cela, les termes de comparaison applicables à l’Algérie, habitée par une race belliqueuse, défendue, pendant dix-huit années, par une population de 3 millions de Berbères et d’Arabes, maîtres et propriétaires du sol, auxquels, par les traités, la France reconnaissait leurs droits et garantissait le libre exercice de leur culte, auxquels, en un mot, le Français se juxtaposait sans se superposer ? Si Alger, Oran et Constantine n’ont ni l’importance ni le chiffre d’habitans de Melbourne, de Sydney, d’Adélaïde, le continent australien, occupé sans résistance depuis 1788, renferme, sur 7 millions et demi de kilomètres carrés, une population d’environ 3 millions d’habitans. En Algérie, dont nous ne sommes les maîtres incontestés que depuis un demi-siècle, on en compte, sur 70 000 kilomètres carrés, superficie onze fois moindre, près de 4 millions. Que fût-il advenu de notre colonie si une seule des conditions spéciales que nous venons d’énumérer, telle que la découverte des mines d’or et d’argent, s’était produite ? Tout bien considéré, rien, absolument rien ne prouve que l’Angleterre eût fait mieux. Elle eût l’ail autrement, et administré différemment, dira-t-on. L’eût-elle pu, et, le tentant, eût-elle réussi ? Sur ce point encore, nonobstant d’inévitables tâtonnemens et des réserves qui s’imposent, je me demande si, étant donnés le point de départ et les circonstances spéciales à l’Algérie, l’on eût pu concilier, dans une plus équitable mesure qu’on ne l’a fait, les droits de la conquête et ceux de l’humanité ?

Comparées à notre colonie africaine, nos autres possessions d’outre-mer n’offrent ni les mêmes discordances ni les mêmes antithèses. On peut différer d’opinion sur les avantages économiques qu’elles nous offrent, sur leur plus ou moins grande utilité, sur leur inutilité même ; on peut discuter la convenance d’en multiplier le nombre ou de le réduire, de garder ou d’évacuer. Pour l’Algérie, il n’en va pas ainsi. La France africaine, que 200 lieues de mer séparent de la France continentale, est le prolongement de cette dernière, dont elle fait partie intrinsèque ; son abandon est chose impossible ; impossible aussi sa cession ou la rupture des liens avec la métropole. Union bien ou mal assortie, mais union désormais indissoluble, dont les uns contestent les avantages pour la France, dont les autres nient les bénéfices pour l’Algérie, mais qu’aucun n’entend répudier, et dont les plus sages s’ingénient à tirer bon parti pour toutes deux, attendant beaucoup du temps et de l’expérience, estimant que soixante-cinq années troublées par des prises d’armes et des répressions, par d’inévitables tâtonnemens et des changemens de régime, ne suffisent pas pour formuler un