Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme ou l’archet tenu par sa main peuvent tirer des instrumens à vent ou à cordes. Mais ces défauts sont complètement rachetés par l’avantage que seul il possède de réunir à la fois en lui le chant et l’accompagnement ; la mélodie et l’harmonie. En mettant sous les mains de l’exécutant comme un abrégé des élémens de l’orchestre, il présente aussi au compositeur non seulement la possibilité de se renseigner sur la valeur de sa pensée, mais les moyens faciles d’en étudier les développemens afin d’en renforcer l’expression. Le piano dès lors est si directement mêlé aux progrès de l’art musical qu’à partir de cette époque les grands compositeurs ont été, presque sans exception, de grands pianistes. Aussi la sonate, dans la forme accomplie qu’ils lui ont donnée, devenait avec eux une symphonie en miniature.

Bach et Haendel, qui, les premiers, surent mettre en œuvre les ressources du clavecin, opéraient en même temps une rénovation complète dans la musique instrumentale. Assurément la science du contrepoint, à laquelle ils s’étaient formés, existait depuis longtemps avant eux et comptait, en Allemagne comme en Italie, de nombreux adeptes. Mais après avoir autrefois ouvert à l’art musical les voies où il était entré, elle pesait maintenant sur lui par un ensemble de formules qu’avait consacrées la tradition, formules compliquées d’âge en âge comme celles de la scolastique et stériles comme elles. Ces traits accumulés autour de la phrase mélodique sans faire corps avec elle, ces cadences banales semées hors de propos et à profusion, ces accords plus ou moins rudimentaires, mais d’une monotonie toujours pareille, ces parties enchevêtrées avec leurs conclusions invariablement prévues, tout cet appareil de formes vaines et convenues qui constituaient l’harmonie telle qu’on la pratiquait alors, loin de fournir au compositeur un secours utile, ne servaient qu’à paralyser son initiative et à étouffer son originalité.

Haendel et Bach s’affranchirent de ces servitudes en brisant le moule trop étroit où l’expression de leur pensée se trouvait comprimée. Quoique contemporains et professant l’un pour l’autre une admiration mutuelle, les deux maîtres ne devaient jamais se rencontrer. Mais presque simultanément, sans s’être entendus, ils entreprenaient la même tâche. Le premier avec son talent plus souple et sa simplicité robuste, avait aussi pour la musique dramatique des aptitudes plus marquées, dont sa carrière affairée et brillante favorisait le développement. Cependant le rôle important qu’il réservait à la musique instrumentale dans ses ouvertures, ses oratorios, ses concertos, ses suites et ses sonates pour l’orgue ou le clavecin, lui mérite une place parmi les précurseurs