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sa gratitude dans la dédicace de ces célèbres quatuors dont il confiait le sort« à cet homme illustre, son meilleur ami, le priant de les accueillir avec bienveillance et d’être pour eux un guide et un père. » Bach, pour lequel il professait un véritable culte, ne devait pas lui être d’un moindre secours, et l’on raconte qu’un jour, parvenu déjà à l’apogée de sa réputation, comme on lui communiquait des manuscrits inédits du maître d’Eisenach, il s’écria avec joie : « Enfin, je vais donc trouver quelque chose de nouveau à apprendre ! »

C’est grâce à cet heureux accord des dons naturels et de l’étude que Mozart put librement donner carrière à cette fécondité de production qui est un des traits saillans de son génie. Avec la clarté et la correction parfaite de la forme qu’il devait à son éducation, la sûreté de son goût lui faisait trouver pour les genres les plus différens le style le mieux approprié à chacun d’eux. Mais c’est surtout la franchise d’inspiration, la variété et le charme de ses mélodies qui le distinguent de tous les autres maîtres. Plus puissamment qu’aucun d’eux dans ses œuvres dramatiques, dans les Noces, la Flûte enchantée et Don Juan, il a su traduire dans la langue musicale les situations les plus émouvantes, les passions les plus vives et les sentimens les plus élevés ou les plus délicats de la vie humaine. Même dans ses compositions purement orchestrales, Mozart sait chanter, et ainsi que Richard Wagner l’a remarqué avec raison[1], « il n’est pas de musique instrumentale qui autant que la sienne se rapproche de la voix humaine, et qui, par le choix des timbres en donne mieux l’illusion. » Comme virtuose, dès son enfance, il avait montré ce qu’il pouvait en ce genre, et Clementi, qu’on essayait en vain de lui opposer, proclamait lui-même que jamais il n’avait entendu un jeu aussi puissant, ni aussi expressif. Plus tard, Haydn déjà vieux ne pouvait, en l’écoutant, retenir ses larmes, « tant sa manière lui allait à l’âme. » De ses sonates, de ses Fantaisies pour piano se dégage un chant toujours inspiré, aux modulations tour à tour tendres ou pathétiques : la seconde partie y prend une importance inaccoutumée, et les accompagnemens sont eux-mêmes des mélodies. Dans ses concertos aussi, il rompt avec la tradition jusque-là respectée, de ne laisser à l’orchestre qu’un rôle secondaire, afin de faire dominer d’autant plus la virtuosité des exécutans. Chez Mozart l’orchestre a son importance propre, et si, quand la parole est au soliste, ses confrères l’accompagnent discrètement, leur tâche n’est jamais insignifiante ; l’unité de l’œuvre reste donc

  1. Dan Kunslwerk der Zukunft.