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en vue de l’expression. Ces qualités sont surtout sensibles dans la Symphonie en sol mineur, tour à tour si gracieuse et si véhémente, et peut-être plus encore dans la Symphonie en ut, celle que, sans doute à cause des allures triomphantes de son début, on a surnommée Jupiter. L’Andante de cette dernière est un chef-d’œuvre d’inspiration et de mélodie chez un maître pourtant si riche en ce genre. Au lieu d’être, comme trop souvent, un placage et un ornement de parade ajouté après coup, pour mettre en évidence le savoir du compositeur, la fugue du Finale fait absolument corps avec l’œuvre et déploie à son profit toutes les ressources de la polyphonie avec une aisance magistrale. Au-dessus des complications de la forme, le chant plane toujours, et les détails, si touffus qu’ils soient, ne servent qu’à faire valoir l’ensemble. Dans cette tête si bien organisée, tout est réglé et ordonné d’avance, et Mozart ne perd jamais de vue l’unité de son œuvre. Cette œuvre est d’ailleurs comme gravée dans son esprit avant qu’il en ait jeté une seule note sur le papier, et lorsqu’il s’assoit à sa table de travail, c’est au courant de la plume et sans une seule rature qu’il écrit ses partitions.

Mais de tels efforts, une pareille concentration de la volonté, viennent à bout des organisations les plus vigoureuses, et un épuisement prématuré devait être pour Mozart la rançon de ce génie, en apparence très facile, mais qui, dans les fatigues d’une production sans trêve, avait consumé le plus pur de sa substance. Il travailla cependant jusqu’à sa dernière heure, et sur son lit de mort, entouré des feuilles de ce Requiem qu’il composait comme pour ses propres funérailles, il vit venir la fin sans faiblesse, stoïquement, chrétiennement résigné. Son seul regret était de n’avoir pas encore donné sa mesure, de partir au moment où, en pleine possession de son art, « il allait, ainsi qu’il le disait lui-même, écrire avec son cœur, » lui qui pourtant n’avait jamais fait autre chose.


EMILE MICHEL.