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le nouveau pontife fut acclamé comme envoyé par le Seigneur pour accomplir la délivrance nationale. Nous avons à noter ici cet événement parce que l’attitude et les résolutions de Pie IX imprimèrent une impulsion décisive au mouvement qui déjà agitait la péninsule entière. « Une confédération italienne, avait écrit Gioberti, a ses racines à Rome et à Turin, car Rome et Turin représentent la sainteté et la force de l’Italie. » Rome était acquise par l’avènement du cardinal Mastaï ; Turin, où se groupaient les esprits les plus éminens, ne pouvait tarder à capituler.

Charles-Albert avait, durant sa jeunesse, frayé avec le parti libéral ; il s’en était séparé par une compromission qui a empoisonné sa vie, donnant à l’Autriche des gages qui l’ont mis et tenu, en Italie, dans un état perpétuel de suspicion. Avec une foi ardente, un mysticisme étroit, ce prince avait pourtant un cœur italien, rempli de l’amour de son pays ; mais il était dépourvu de constance et de fermeté. Tour à tour libéral ou absolutiste, avec cette pointe d’ambition particulière à sa race, il avait abandonné les amis de ses premières années pour se réfugier, en montant sur le trône, sous la domination des défenseurs du régime autoritaire et des corporations religieuses. Dans l’histoire qu’il a donnée de la vie de ce souverain, M. le marquis Costa de Beauregard a mis en lumière les mouvemens de son âme et les faiblesses de son caractère, son ardeur et ses défaillances. Bien avant l’avènement de Pie IX, dans ces momens où déjà les esprits se retournaient du côté de Turin et de la maison de Savoie, pendant que la police avait ordre de ne tolérer aucun écart, d’interdire la distribution des journaux étrangers, il eut occasion de recevoir d’Azeglio revenant d’un voyage dans les États de l’Église et dans le royaume de Naples. Ce propagateur des idées nouvelles fit part au souverain du frémissement de l’opinion publique dans ces contrées, des espérances qu’on fondait sur le concours du Piémont. « Faites savoir à vos amis, lui répondit Charles-Albert, que l’heure n’est pas encore venue d’agir, mais, lorsqu’elle sonnera, ma vie, la vie de mes enfans, mes trésors, mon armée, tout sera sacrifié à la cause de l’Italie. » On lui attribua la paternité d’un mot resté célèbre : L’Italia fara da sè, qu’il opposa, disait-on, à l’un de ses conseillers, lequel s’obstinait à lui signaler les graves dangers auxquels on s’exposerait en provoquant, sans alliances, une rupture avec l’Autriche.

Mais si l’ambition ouvrait à Charles-Albert des perspectives qui le séduisaient, sa conscience, dominée par le sentiment religieux, le cantonnait dans sa timidité. L’avènement de Pie IX, les mesures par lesquelles le nouveau pontife inaugura son règne, mirent un terme à ses anxiétés, et il en manifesta autour