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compris ses véritables intérêts, aidé à la prospérité nationale ? Il suffit, pour en douter, de considérer en quelle situation ils ont mis l’État et les populations. Faute de numéraire, l’Etat a dû rétablir le cours forcé ; les populations, écrasées par les impôts, émigrent dans les deux Amériques, et même en pays noir.

En avril 1851, Cavour réunissait, à ses attributions ministérielles déjà si variées, celles de ministre des finances. Il ne s’était pas écoulé six mois que déjà il justifiait les prévisions du roi, en se préparant à son rôle de ministre universel. Il faut lire sa double correspondance officielle et particulière, l’une et l’autre également volumineuses, pour se rendre compte des efforts incessans qu’il dut faire pour introduire dans cette administration les saines règles de la comptabilité. Réfractaire aux sollicitations, il fit de nombreux mécontens, mais il parvint à rétablir les bonnes traditions dans ce service où les habitudes paternelles de la maison de Savoie avaient fait prévaloir la faveur au préjudice de la règle. Nous sortirions de notre sujet en insistant davantage sur les actes d’ordre administratif qui ont illustré la vie du comte de Cavour. Il en est un cependant d’une portée internationale qui ne saurait être passé sous silence. La marine, avons-nous dit, était jointe au ministère du commerce. En poursuivant sa tâche économique, cet homme universel ne perdait pas de vue son but capital et les luttes prochaines qu’il faudrait engager pour l’atteindre ; il entendait mettre son pays en état de les soutenir. Il jugea, dans cette pensée, qu’il était indispensable d’imprimer un rapide développement à ses forces maritimes et de leur donner, avec une assiette nouvelle, un port de premier ordre pour les abriter. Il décida de transférer, de Gênes à la Spezzia, le principal établissement maritime du pays en le créant de toutes pièces. Ce projet souleva l’opposition des Génois. Loin de l’abandonner, Cavour en fit établir les études, et quand elles furent achevées, en 1857, il l’imposa au parlement, si considérables que fussent les dépenses prévues, malgré les plus vives résistances coalisées de la gauche et des intérêts particuliers qui y faisaient obstacle. C’est à lui, à sa prévision éclairée et patriotique, que l’Italie doit de posséder, dans la Méditerranée, un port de guerre qui flatte son orgueil à juste titre.

Il avait des pensées aussi fécondes en matière de chemins de fer. Il fit appel aux capitaux étrangers en leur offrant des conditions rémunératrices ; il stimula, dans son pays, l’esprit d’entreprise et d’association, et le Piémont se couvrit dévoies ferrées. Il osa enfin, — et à cette époque pareille hardiesse pouvait être taxée de témérité, — entreprendre le percement du Mont-Cenis, œuvre gigantesque qui rencontrait d’incrédules contradicteurs.