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historique est de conduire. Ainsi doivent l’entendre les Croates, quoique sujets de l’Autriche, sous peine de passer les bornes excusables du délit d’opinion. D’abord un nouvel élément a surgi dans la querelle de famille : il faut prendre parti pour ou contre un tiers, accepter ou répudier son installation en Bosnie, dont l’effet, si elle dure, ne peut être que d’affaiblir les Jugo-Slaves et compromettre leur devenir. Ensuite, au sein de la famille même, les Croates n’ont été coupables, jusqu’ici, que de prétentions à l’ « unité ethnographique » : défection morale, à coup sûr, mais qui leur reste propre, dans l’orbite de laquelle ils n’ont entraîné personne. S’ils répandent le « croatisme » dans la province occupée, ils écartent de nouveaux frères du foyer historique de Belgrade, privent la race de tout principe directeur, de toute politique vraiment nationale, la relèguent, elle, première intéressée à la question d’Orient, à je ne sais quel rôle subalterne et misérable, et sous cette forme encore, se rendent les complices de l’étranger.

Ce qui justifie la ténacité des Serbes à plaider leurs titres sur la Bosnie et l’Herzégovine, c’est le sentiment que l’hégémonie, dans la future entité jugo-slave, est dévolue d’avance à qui saura s’en emparer. Elles constituent une terre vierge, ou plutôt dont la virginité est à refaire, qui n’est pas seulement digne de tenter le pionnier agricole ou l’industriel : des découvertes y attendent l’économiste, et même des prosélytes, l’apôtre. Elles sont aptes à recevoir et à écouler tous les produits, soit par la Save, soit par la mer, que relie déjà la ligne Brod-Serajevo-Metkovic ; placées, pour ainsi dire, sur la ligne de partage des religions latine et grecque, des influences et des modalités de civilisation qui s’y rattachent. La puissance qui les possède domine et attire en quelque sorte la Dalmatie, par une affinité géographique évidente entre l’intérieur et la côte. — Ici encore, après les barbares, les Turcs, qui ne surent jamais qu’envahir et dépecer, et d’ailleurs, sur le littoral de l’Adriatique, étaient contenus par la puissante rivalité de Venise, ont détruit une de ces belles formes classiques que les Romains, conquérans d’une autre envergure, savaient assigner à la division du monde. Sous Home, la Bosnie est la Dalmatia interna, peuplée de colonies et de postes militaires. communiquant avec la mer et reliés à la civilisation par des ports florissans. Après quinze siècles, la vérité géographique et économique reste immuable. Le progrès du pays et tout particulièrement l’essor du commerce local, sont incompatibles avec la séparation de ce que la nature a uni. Sans doute, l’Autriche, éprise du Drang nach Osten, ne voit dans la Bosnie qu’un