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Tous deux sont par conséquent moins à leur aise, moins en mesure de réaliser des économies aux XVIIe et XVIIIe siècles, qu’ils ne l’étaient aux XIVe et XVe, et le labeur du domestique continue à être proportionnellement moins rétribué que celui du journalier.

Leur condition paraît toutefois tendre à se rapprocher : au XIVe siècle le manœuvre nourri gagnait, en 167 jours, une somme équivalente au salaire annuel du domestique ; au XVIe siècle il lui suffisait de 158 jours pour atteindre les gages du serviteur ; parce que les gages annuels de l’un s’étaient réduits encore davantage que la paie quotidienne de l’autre. Aux temps modernes 185 jours du travailleur nourri sont nécessaires pour représenter le salaire du domestique. La distance est plus faible, puisque, sur ses 250 jours de labeur, il restait au manœuvre nourri du moyen âge 88 jours pour payer son loyer, son chauffage et son éclairage ; tandis qu’il ne restait, pour ces trois dépenses, que 65 jours au manœuvre du siècle dernier.

Aujourd’hui la proportion s’est complètement retournée en faveur du domestique : des 300 journées de travail du manœuvre nourri de 1896, à 1 fr. 50 chaque, le salaire annuel du domestique de ferme, évalué à 350 francs, en représente 233. Le dernier est donc beaucoup mieux traité que l’autre. L’élévation des gages de la domesticité, conséquence du peu de goût des salariés pour le service personnel, est d’ailleurs un des caractères qui marquent, en notre siècle, le progrès de la démocratie. Elle témoigne de l’autorité toute-puissante que possède cette loi inéluctable de l’offre et de la demande. Voici une catégorie de gens qui n’ont jamais fait parler d’eux depuis cent ans, qui n’ont jamais songé à la grève, et dont le salaire a plus que doublé. Intrinsèquement leurs gages étaient de 80 francs il y a un siècle ; ils sont de 350 francs aujourd’hui ; et l’augmentation du prix de la vie ne les touche aucunement, puisqu’ils sont défrayés de tout. Une seule dépense les intéresse : celle du vêtement, et elle n’a cessé de décroître. La demande de domestiques a-t-elle augmenté avec les progrès de l’aisance, qui ont permis ce genre de luxe à un plus grand nombre de citoyens ? L’offre au contraire a-t-elle diminué ? En l’absence de statistiques comparatives, il est impossible de le dire. C’est malgré tout la dernière hypothèse qui paraît la plus probable. En Angleterre, il y a soixante ans, on comptait 1 million de domestiques sur 24 millions d’âmes ; en 1881 la population de la Grande-Bretagne était passée à 35 millions, le nombre des domestiques ne s’était accru que de 250 000.

Pour n’avoir pas profité d’une augmentation de recettes aussi exceptionnelle, puisqu’elle ne correspond à aucune augmentation