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furent-elles un résultat de l’organisation hiérarchique du travail ? Les patrons, par ces règlemens dont nous nous attachons à démontrer le peu d’effet sur le salaire des artisans formés, n’étaient-ils pas parvenus à se procurer avec les apprentis un profit exagéré ? La loi de l’offre et de la demande, omnipotente pour tout le reste, a-t-elle ici été vaincue ? A bien examiner le mode de recrutement de la classe ouvrière du XVe siècle au XIXe, je ne le pense pas. D’abord, pour les plus longs de ces apprentissages, quand le métier demandait plus d’adresse que de force, on embauchait des sujets très jeunes. Nous avons vu, dans l’article précédent, des domestiques de 7 ans au XVe siècle ; nous voyons au XVIIe des apprentis de 6 ans. Les statuts des « maîtres et marchands tapissiers » ont soin d’interdire de les prendre au-dessous de cet âge. Si leurs débuts ont été plus tardifs, ceux que l’on nomme encore « apprentis » gagnent à la fin quelque demi-salaire, et ne diffèrent que par l’étiquette du garçon actuel de moins de 15 ans, dont la journée dans la grande industrie est de 1 fr. 30, tandis que celle des adultes de 15 à 21 ans est de 2 fr. 50 et celle des individus majeurs de 3 fr. 50.

Puis, et c’est là une remarque capitale, qui ressort de la comparaison des divers contrats, les longs apprentissages sont ceux qui ne coûtent rien aux parens. Ceux pour lesquels on payait aux patrons des sommes équivalentes à celles de 1896, ne sont pas plus longs que les nôtres. Seulement un grand nombre de familles, ne disposant que d’un pécule insuffisant, préféraient sans doute abandonner pendant un ou deux ans de plus les services gratuits de leurs enfans. Aujourd’hui la durée moyenne de l’apprentissage d’un maréchal est de vingt-cinq mois, son coût moyen est de 162 francs. En 1610 un maître maréchal de Seine-et-Oise prend un apprenti qui restera chez lui trois ans, mais qui ne lui paiera rien. Un autre reçoit un apprenti qui s’engage à demeurer quatre ans, mais qui, à la fin des quatre ans, touchera 108 francs. Ne veut-il passer, comme maintenant, que deux ans chez son maître, l’apprenti maréchal devait lui verser 200 francs.

L’apprentissage du tailleur coûte présentement 133 francs et dure vingt-sept mois ; celui d’un couturier de Soissons sera de deux ans en 1547 et coûtera 120 francs. De nos jours la couturière paie 94 francs pour apprendre son métier en deux ans ; la durée est la même en 1611 et le prix est d’environ 144 francs. L’apprenti cordonnier passe aujourd’hui vingt-six mois avant de devenir ouvrier et il débourse 134 francs ; au XVIIe siècle le cordonnier des environs de Paris donnait trois ans de son temps et seulement 108 francs d’argent. Ceux qui ne passent que deux ans au XVIIIe siècle versent en moyenne 175 francs. L’apprentissage du tapissier monte