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tournait d’abord son aiguillon contre ces égarés, pour les ramener au sillon hors duquel, suivant lui, on ne travaille pas pour la patrie commune. Cet élément serbe, depuis qu’il est fondu dans le parti magyaron, n’a en propre ni une histoire, ni un orateur, sauf peut-être M. Jovanovic, qui s’est distingué quelquefois par son indépendance. La religion est le criterium presque infaillible auquel on reconnaît ces gouvernementaux par irrédentisme : ce sont en général les orthodoxes ; ils dominent dans le Syrmium et les Confins militaires, sauf à Brod et à Karlovatz, qui élisent à présent des députés de l’opposition.

La Dalmatie est placée sous le régime cisleithan : autre système de gouvernement, autres conditions politiques. L’Autriche, à la différence des Magyars, se borne à administrer, assez négligemment du reste, et n’intervient guère dans les luttes électorales que pour rétablir l’équilibre entre les partis, quand il arrive qu’il soit rompu par le jeu de la propagande ou du hasard. Ces partis sont au nombre de trois ; car Serbes et Croates ont à compter, sur le littoral, avec les débris de l’autonome ou italien, qui se recrute encore dans la classe aisée et chez les commerçans des villes.

Le conflit se présente donc ici sous une forme plus abstraite et n’est pas envenimé, comme en Croatie, par ce fait irritant et permanent que des Slaves favorisent, contre d’autres Slaves, l’oppression d’un gouvernement étranger. En revanche le caractère méridional de la population et la fougue du clergé catholique lui donnent un coloris inconnu aux climats du nord. Les batailles électorales, qui se livrent autour de citadelles minuscules, quelquefois dans le rayon de vieux hôtels de ville, imprégnés d’art et de souvenirs italiens, semblent des tumultes rajeunis des républiques du moyen âge, où chaque groupe de paysans et de bourgeois, précédé de sa bannière et défilant à son rang, tempère d’une sorte d’instinct scénique et corporatif les exubérances du Slave grisé de soleil.

C’est en Dalmatie surtout qu’on remarque la pénétration du conflit politique dans la vie municipale et même privée. Presque chaque citadin se croit tenu de s’incorporer à un parti et d’en observer l’étiquette. Il n’est guère de ville qui n’ait deux cercles : l’un c’est la citaonica : il est fréquenté par les Croates ; l’autre la stionica : c’est le rendez-vous des Serbes. Lorsqu’il y a réception, bal ou anniversaire, le premier se pavoise aux couleurs de la Croatie : bleu, blanc, rouge, disposées dans le même ordre que les nôtres, mais perpendiculairement à la hampe ; l’autre arbore des couleurs identiques, mais disposées autrement, car la couleur