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engendrée par la perpétuelle immixtion du clergé dans les affaires politiques ; c’est un peu la jeunesse ecclésiastique ardente, cette fois plus que jamais, qui vient d’être battue avec les candidats de son leader. Evolution caractéristique, et qui peut être féconde, surtout si l’on replace à leur rang, dans le mouvement national, les survivans expérimentés, tels que le comte Vojnovic, du groupe qui fut son initiateur. Car l’élimination des passions religieuses en Dalmatie et de l’élément qui les entretient s’impose à qui cherche l’apaisement entre Serbes et Croates. Si dure que puisse paraître cette vérité à des hommes qui ont apporté leur contingent d’intelligence et d’efforts à la renaissance nationale, celle-ci ne peut attendre son épanouissement que de mœurs politiques dans lesquelles le « cléricalisme » cessera d’être, de part et d’autre, un épouvantail.

Si une détente est en perspective, sur le littoral, aux dépens de l’influence du clergé, la Bosnie et l’Herzégovine, au contraire, traversent la phase de l’enfantement des opinions autour des rivalités confessionnelles. « L’idée nationale, disait justement, cette année même, l’Obzor, y commence à peine le processus de sélection et de cristallisation qui est terminé presque partout. » Appliqué à ces provinces, le mot de situation politique sonnerait faux. Plus du tiers de la population (600 000 âmes) n’a guère d’autres besoins intellectuels et sociaux que ceux dont elle a hérité de ses ancêtres, et par conséquent de l’islamisme ; la grande majorité des chrétiens, soit du rite latin, soit du rite grec, est pauvre, illettrée, déprimée par un long servage. Ce que nous appelons le droit moderne, en particulier celui de suffrage, l’Autriche s’est bien gardée de l’importer dans sa nouvelle conquête : presque personne n’eût su le comprendre, et, à plus forte raison, s’en servir. M. de Kallay s’est borné à un essai de suffrage municipal, à Serajevo, signalé, dès 1885, par M. de Laveleye ; depuis, rien qu’une vague promesse de l’étendre, sans précision de conditions ni de temps, formulée, l’année dernière, au cours des travaux des Délégations. Par sa composition ethnique, la Bosnie est même réfractaire à une sorte de guerre entre dans ou tribus, forme primitive des démêlés politiques ; car si cette province est, comme la Macédoine, un véritable carrefour de religions, en revanche la population y est homogène, du fait de son origine slave, et de la centralisation despotique du régime turc.

Catholicisme, islamisme, orthodoxie, tels sont donc les véritables compartimens du cadre moral et social de la Bosnie. L’élément catholique (300 000 âmes environ) s’inspire d’un clergé