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au hasard que je dis que « nous l’apprenons », mais c’est que nous ne le savons pas de nature[1] ; c’est que, comme on l’a vu plus haut, la « raison » nous enseigne précisément le contraire ; c’est qu’il y a une éducation (du cœur ; — et peut-être, parmi tous ces « progrès » dont nous sommes si vains, est-ce elle surtout qui nous manque.

Dirai-je aussi que l’on commence à s’en apercevoir ? Oui, si c’est de là que procède, d’après l’auteur des Bases de la Croyance, le peu de confiance que l’on accorde de nos jours aux spéculations de la métaphysique. On ne saurait effectivement restreindre ou contrôler les droits de la raison que l’on ne contrôle ou que l’on ne restreigne en même temps les droits de la métaphysique. M. Balfour l’a bien vu ; et, à ce propos, il est curieux de noter qu’aucune autre partie des Bases de la Croyance n’a soulevé plus de protestations que celle où il s’est expliqué sur ce point. Quoi donc ? Est-ce qu’il avait mal parlé du génie de Platon, « de l’art incomparable de son dialogue » et de « l’exquise beauté de son style » ? et n’avait-il pas déclaré, totidem verbis, qu’il nous serait « difficile ou peut-être impossible de reconnaître toute l’étendue de nos obligations envers Aristote » ? Ou bien encore, et pour en venir tout de suite à nos contemporains, voudrait-on qu’il n’eût pas vu que la métaphysique de Hartmann et de Schopenhauer, dont ils ont prétendu faire le support de leur pessimisme, ne fait seulement pas corps avec lui ? n’en est qu’un appendice inutile et l’organe atrophié ? Non, sans doute ! Mais il a écrit, pour s’excuser de ne parler ni de Descartes ni de Spinoza : « Mon but est strictement pratique, et je fais table rase des théories, pour admirables qu’elles puissent être, qui n’ont plus de titres réels à nous offrir un système raisonné de connaissance et sont incapables de prouver leur valeur en fournissant actuellement des bases de conviction ». Les métaphysiciens n’ont pas eu de peine à comprendre que c’était là les exclure « en bloc », — et comme tels, en tant que métaphysiciens, — du droit d’intervenir dans les controverses actuelles. Ne croient-ils pas cependant être les juges naturels du débat ? et moi-même n’en ai-je pas eu la preuve quand on m’a fait naguère observer qu’en opposant l’une à l’autre la science et la religion, c’était très bien, mais j’avais oublié la philosophie !

Eh bien ! il faut le dire, c’est encore un signe des temps, et M. Balfour a raison. Il n’y a pas de plus grands noms dans

  1. C’est ce que je me suis efforcé de prouver « scientifiquement » en étudiant ici même les leçons de moralité qu’on pouvait tirer de la doctrine évolutive. (Voyez la Revue du 1er mai 1895.)