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et le théâtre de la guerre, si étrangement nommée Guerre du Pacifique. Il est impossible de s’y arrêter sans évoquer le souvenir de cette lutte qui mit aux prises trois républiques hispano-américaines : le Chili, la Bolivie et le Pérou. Elle montre trop bien l’avidité de ces peuples, moins préoccupés d’exploiter les richesses enfouies dans leur sol que d’en découvrir de nouvelles. Trois cents ans de rapines et de pillages n’ont pas apaisé leur sang de conquistadors, et l’Amérique reste éternellement la terre où la fortune doit s’acquérir sans longs efforts, la patrie des rafleurs d’argent.

Les Péruviens, qui possédaient le désert de Tarapaca et qui, depuis 1830, en connaissaient les dépôts de salitre, n’y attachèrent pendant longtemps aucune importance. On ne soupçonnait pas encore les services que le salpêtre rendrait un jour à l’agriculture. Le Pérou ne songeait qu’au guano dont la facile extraction gorgeait sans trêve ses coffres-forts et permettait aux hommes politiques d’assurer l’avenir de leurs petits-neveux. Comme les cénobites des légendes, mais sans avoir leur tempérance et leurs autres vertus, il se laissait nourrir par les oiseaux du ciel. Les Dreyfus aidant, on ne tarda pas à s’apercevoir que le trésor s’épuisait, et les Vespasiens de Lima tremblèrent pour leurs revenus. En 1872, le président de la République, Manuel Pardo, déclara au Congrès national que le Pérou était à la veille d’une banqueroute. Le Congrès indigné traîna devant les tribunaux les malversateurs des précédens ministères. On flétrit leurs dilapidations, ce qui soulagea la conscience de ceux que leur éloignement des affaires avait maintenus intègres. Mais l’état des finances n’en fut point amélioré. Alors on se tourna vers le plateau de Tarapaca.

Jusque-là les salpêtres avaient été soumis au même régime que les minerais. Le gouvernement donnait en adjudication deux estacas de terrain (environ 30 000 mètres carrés) à toute personne qui en demandait la propriété. Il décida d’établir un droit d’exportation d’environ 20 centimes par quintal : ce droit fut bientôt quadruplé. On ne s’arrêta pas en si beau chemin et la République résolut de monopoliser le salpêtre. La loi du 28 mars 1875 autorisait le pouvoir exécutif à faire un emprunt de sept millions de livres sterling pour l’achat de tous les terrains salitraires. Loi naïve s’il en fut ! Le Pérou ne trouva point de prêteurs et se vit réduit à payer ses expropriations avec de simples reconnaissances. Les salpêtriers, dont plusieurs étaient Chiliens, se crurent perdus, et, dans leurs derniers mois de liberté commerciale, ils précipitèrent leur exportation au point que le prix du salpêtre baissa. Le gouvernement péruvien intervint et nomma une