Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/920

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romaine. Maîtresse de maison, elle est née pour recevoir, amuser et séduire. Le jour, ses yeux ont besoin de l’ombre indolente des persiennes closes, et le soir de l’étincellement des lustres. Son intelligence prime-sautière se pose et scintille sur les coupes de Champagne, comme un colibri sur le calice des fleurs. Elle sait causer, et, loin de s’abandonner paresseusement aux méandres de la conversation, elle la dirige, lui fait décrire des courbes brusques, la sillonne d’éclairs, et rit de ses cascades. Les cascades lui plaisent. Je sais maintenant d’où vient cette sympathie que le Pérou inspire à tous ses anciens hôtes, et dont j’ai recueilli tant de témoignages. Ruses, mensonges, fanfaronnades, protestations dont le cœur n’est jamais sûr, sermens qui durent des déjeuners de soleil, danse folle des deniers publics, révolutions de palais, insécurité commerciale, que ne pardonnerait-on pas aux Péruviens ? Ils ont de si jolies femmes !

La colonie chilienne, elle, se compose de fonctionnaires, journalistes, avocats, médecins, tous gens très honorables et dont plusieurs sont fort distingués. Si vous exceptez cette classe flottante et peu nombreuse d’hommes que le gouvernement salarie ou qui exercent une fonction libérale, le reste de la colonie est recruté parmi des rotos ou des citoyens venus pour enterrer un cadavre dans les grèves. Beaucoup de Chiliens ont considéré Iquique comme un pénitencier moral. Ils y réparent leur robe d’innocence quand elle n’est plus « mettable ». Dans ce pays de myopes, on la rafistole facilement, mais, à moins qu’elle ne soit cousue d’or, elle ne supporte jamais le voyage de retour.

Ajoutez à ces deux colonies quelques centaines d’Italiens, petits commerçans, un avant-poste d’Allemands, cinquante Français et presque autant d’Autrichiens. Les Allemands ont ici dépouillé la mâle arrogance qu’ils témoignent à Santiago. Ils se sentent détestés par les Anglais, que leur présence horripile, et mettent tous leurs soins à passer inaperçus. Ils sont modestes, discrets, humbles : on estime leur ténacité laborieuse, on respecte leur silence, on les aime. Quand ils veulent fêter l’anniversaire de l’empereur, ils s’en vont très loin, le long des grèves, par-delà Cavancha, derrière la dune, et là s’arrosent de bière ; puis ils reviennent à la nuit tombante, sans tambour ni trompette, en aussi bon ordre que le leur permettent leurs libations, et, s’ils entendent dans un asile de nuit les Anglais casser les tables et les chaises, ils pensent : « Mon Dieu, que ces gens sont mal élevés ! » Ils le pensent, ne le disent pas et s’enrichissent.

Quant aux Autrichiens, je me suis toujours demandé quelle série de naufrages les avait amenés jusque-là. On les appelle les