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prononcer pour révéler sa pensée jusqu’alors secrète. Les paroles sont venues ; elles ont justifié toutes les espérances. Les trois toasts que l’empereur a prononcés, à Cherbourg, à Paris, à Châlons, ont marqué une sorte de crescendo évidemment calculé, dans l’expression de ses sympathies ; et lorsqu’on l’a entendu parler des « liens si précieux » qui unissent les deux pays, lorsqu’on l’a entendu surtout proclamer la « confraternité d’armes » qui existe entre les deux armées, la satisfaction a été générale, tout le monde a compris que, quelle que fût la nature des liens auxquels l’empereur avait fait une allusion si directe, les deux nations étaient effectivement liées l’une à l’autre, et qu’elles l’étaient d’une manière durable, « inaltérable » comme leurs sentimens. pour employer l’expression impériale. Et quand le tsar, après la revue de Châlons, a pris congé du président de la République, il n’y avait eu de désillusion ni d’un côté ni de l’autre. L’impression que notre hôte auguste emportait était égale à celle qu’il nous laissait.

On peut continuer de disserter sur le caractère véritable et sur les conséquences de l’alliance franco-russe ; mais le fait lui-même ne saurait plus être nié. Au surplus, ce qui surprend, c’est qu’on ait pu conserver si longtemps des doutes à ce sujet. Depuis quelques années déjà, et à partir des fêtes de Cronstadt, bientôt suivies de celles de Toulon et de Paris, il fallait volontairement fermer les yeux à la lumière pour ne pas voir l’alliance franco-russe. Les deux gouvernemens ne faisaient rien pour la dissimuler : ils faisaient même tout ce qui dépendait d’eux pour la faire entrer dans le droit public européen comme une réalité tangible, qui valait ce qu’elle valait, mais dont il n’était plus permis de ne pas tenir compte. À ces manifestations matérielles sont venues s’en ajouter d’autres qui, pour les esprits sérieux, avaient une force encore plus convaincante. Lorsque, à propos des affaires d’extrême-Orient et de l’attitude que la France y avait prise, M. Hanotaux a lu à la tribune une dépêche diplomatique, adressée par lui à notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, dans laquelle il déclarait que nous avions mis avant tout « la préoccupation de nos alliances », il était, certes, difficile d’employer une expression plus significative, on pourrait même dire plus clairement révélatrice. Est-ce que, à ce moment, des réserves se sont produites du côté de la Russie ? Pas le moins du monde. Le tsar a profité de l’occasion pour envoyer de nouveau à M. Félix Faure une marque extérieure de son amitié. Dès lors, l’alliance était, de part et d’autre, avouée. N’était-elle pas, d’ailleurs, dans la nature des choses ? Est-ce que la Russie et la France n’ont pas, dans la plupart des grandes questions de l’Europe et du monde, tantôt des intérêts communs, tantôt des intérêts sur lesquels l’accord est facile ? Est-ce que leur situation respective ne devait pas amener presque fatalement un rapprochement entre elles ? La Russie avait été autrefois l’amie, l’alliée même de l’Allemagne, amitié ou alliance dont elle a