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étranger à cette heureuse évolution ; tous ses efforts pour l’entraver en ont au contraire accéléré l’entier épanouissement. Nous devons en effet à son incurable hostilité l’état actuel de nos relations internationales, et l’incident qui en a marqué l’origine est d’une trop haute importance pour qu’il nous soit permis de le passer sous silence.


XIV

En 1875, la France avait, depuis déjà un certain temps, acquitté, en anticipant les échéances, la formidable contribution de guerre qu’il lui avait imposée, et elle avait arrêté les bases de sa réorganisation militaire. Elle avait donné ainsi une preuve éclatante de sa puissante vitalité et de l’élasticité de ses ressources. M. de Bismarck en fut surpris et irrité ; il pensait avoir mis notre pays dans l’incapacité de se relever de la profonde détresse dans laquelle il croyait avoir scellé, pour longtemps, ses forces de toute nature. En quittant Versailles pour retourner à Berlin et passant à Francfort : « Je vous apporte, avait-il dit à un groupe de notables, une paix de cinquante ans. » Il était convaincu, à ce moment, qu’il avait, pour un demi-siècle, rayé la France du nombre des grandes puissances.

En la voyant renaître si rapidement à la vie, et en présence des sacrifices que nous étions encore en état de nous imposer après ceux dont il nous avait accablés, il éprouva un mécompte qu’il ne dissimula point. De concert avec le général de Moltke, il jeta l’alarme, et ces deux hommes, qu’on trouve toujours réunis quand il faut combiner un noir dessein, résolurent de porter à la France de nouveaux coups et de plus irréparables. Tout a été dit à cet égard, et il n’est plus douteux aujourd’hui qu’ils n’aient eu, à cette époque, l’intention de reprendre les hostilités. Mais il leur fallait, cette fois encore, s’assurer la bienveillante neutralité de la Russie. Un envoyé confidentiel fut expédié à Saint-Pétersbourg ; il se heurta à des dispositions nouvelles. Déçus dans leurs espérances que M. de Bismarck avait éveillées quand il sollicitait leur concours et qu’il ne s’empressait guère de seconder depuis que leur appui ne lui était plus nécessaire, l’empereur Alexandre et le prince Gortschakof se montrèrent surpris des confidences qui leur furent faites et en témoignèrent un certain mécontentement ; ils firent plus, ils avertirent notre ambassadeur, le général Leflô, et ils s’interposèrent à Berlin pour détourner l’orage qui nous menaçait. Chose étrange, l’empereur Guillaume n’avait pas été complètement instruit des ténébreux projets ourdis autour de lui. Courbé sous le poids d’un grand âge, il ne prêtait plus aux actes