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l’homme se demandera : Que suis-je ? D’où suis-je venu ? Que dois-je faire et que puis-je espérer ? Loin d’indiquer la décadence, ces hautes préoccupations ont toujours été le signe des époques de renouvellement et de progrès. Quand la foule sent d’instinct la nécessité d’une doctrine du monde et de la vie, il ne faut voir là aucun délire mystique, aucune « inaptitude à l’attention, produite par l’affaiblissement des centres corticaux. » Puisque M. Nordau se plaît à rapprocher la psychologie de la biologie, il eût pu trouver des points de comparaison dans l’instinct qui fait se tourner vers la lumière les êtres même encore dépourvus d’yeux. Projetez un faible rayon dans une eau où nagent des protozoaires, ils n’ont pas d’organes capables de voir et cependant ils sentent la lumière, ils se dirigent vers elle comme vers une condition de vie et de bien-être. Les foules encore imparfaitement conscientes, par un instinct analogue, se tournent vers toute lueur lointaine qui leur semble annoncer un idéal libérateur.

En littérature, quelque chose vient de finir et quelque chose commence. Ce qui finit, c’est le naturalisme brut ; ce qui commence, semble-t-il, c’est une réconciliation du naturalisme et de l’idéalisme. Voilà tout ce qu’on peut conclure des tentatives plus ou moins heureuses qu’ont faites nos décadens et nos symbolistes. Le génie français est loin d’être épuisé.

Au surplus, si nous avons des détracteurs, nous avons aussi à l’étranger des juges favorables. Gallia rediviva, tel est le titre d’une étude publiée en janvier 1895 par l’Atlantic Monthly, et où M. Ad. Cohn passe en revue ce qui lui fait croire à une régénération de l’esprit français. Après avoir montré que partout le vieux positivisme et le vieux matérialisme font place au souci croissant des hautes questions morales et sociales, l’auteur termine par ces paroles d’espérance : — « Que la France doive de nouveau, comme nation, adhérer aux dogmes du christianisme, c’est ce dont on peut douter ; mais, sans aucun doute, la France est à la recherche de quelque forme idéale d’inspiration dont la lumière puisse réjouir toutes les âmes sincères ; et ne faut-il pas accueillir une telle recherche par ce mot du plus profond penseur religieux de la France, Pascal : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais déjà trouvé ? »


VII

En résumé, ni dans notre caractère national, ni dans nos arts et notre littérature, encore si vivaces, nous n’avons pu découvrir les preuves soi-disant « scientifiques » de notre dégénérescence