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envers vous, chère amie ; mais le voilà rompu, et je vous tiendrai plus au courant de ma maison à moi, mais par quelques mots seulement, car comment auriez-vous par moi cette fatigue de répondre, qu’en ce moment je ne veux point vous donner ?

Longue à guérir, mais sans danger, tel est le caractère de cette maladie, selon tous les médecins, qu’il faut croire en cela. — Je veux vous le dire afin que vous sachiez bien que vous n’avez à me plaindre que de la vie de prisonnier qu’il me faut mener, vie tout à fait semblable à celle d’un naufragé de la Méduse, affamé et sortant du radeau, à qui l’on mesure goutte à goutte le bouillon et le lait de peur qu’il ne se tue en mangeant. Plaignez-moi donc, mais sans vous inquiéter dans votre cœur, que je connais si bon et si parfait pour moi. Plaignez-moi surtout d’une captivité qui fait que mon pauvre cœur à moi, je ne puis jamais suivre un de ses mouvemens. Aujourd’hui ils m’auraient emporté près de vous, n’en doutez pas.


XX


Paris, lundi 9 décembre 1861.

N’avez-vous donc pas eu près de vous assez de tableaux douloureux, et de détails comme les hospices en offrent aux sœurs de charité ?

Vous me demandez le récit de ce que j’ai souffert, chère amie. Ce serait trop pour moi que de l’écrire, et de le lire trop ennuyeux pour vous. Ne vous l’ai-je pas écrit déjà ? Depuis le 4 septembre jusqu’au 2 octobre, j’ai été condamné au régime d’Ugolin dans la tour de la Faim. Si j’avais eu quatre enfans pour me dire : Mange de nous, c’eût été un dédommagement, mais je n’ai porté à mes lèvres que deux tasses de lait de chèvre froid, chaque jour. Régime d’un berger de Virgile, qui donne peu de forces. On les a fait cependant revenir goutte à goutte, comme aux naufragés de la Méduse. A présent, je peux déjeuner ; mais, je ne sais pourquoi (et le docteur Andral ne le sait pas non plus) je ne puis supporter le dîner. Le soir est sobre plus que la journée, et je ne peux prendre que des choses légères comme le tapioca. Rien de capricieux, à ce qu’il paraît, comme les nerfs qui tapissent l’estomac : je n’avais pas encore fait cette découverte. Tout cela s’appelle, comme je vous l’ai dit, du joli nom de gastralgie. C’est consolant. — A présent il m’est permis de sortir une heure en voiture de