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acceptée par les colonies ; la seconde ne saurait l’être par la Grande-Bretagne, à qui l’on demande de sacrifier son immense commerce avec les pays étrangers pour n’accroître que très peu ses échanges avec ses dépendances, qui tirent déjà presque toutes leurs importations de la mère patrie. Reste un troisième projet qui est l’institution d’un véritable Zollverein impérial, qui établirait le libre-échange ou un régime très voisin dans l’intérieur de l’empire, mais laisserait chacun de ses membres libre de traiter comme il lui conviendrait les marchandises importées des pays étrangers. Toutefois, — et c’est là un trait essentiel du projet, — la Grande-Bretagne s’engagerait à frapper de droits modérés certains articles que les colonies produisent en grand : ces articles comprendraient, — c’est M. Chamberlain qui le constate, — les grains, la viande, la laine, le sucre, et quelques autres. Mais l’orateur ne s’en effraye pas, et il ajoute que cette proposition mérite d’être bien accueillie par le libre-échangiste même le plus orthodoxe ; ce serait le plus grand progrès qu’eût jamais fait la doctrine de la liberté commerciale, puisque les bienfaits s’en trouveraient étendus à 300 millions d’hommes.

Ce discours de M. Chamberlain est un événement ; c’est la première fois qu’un ministre anglais se prononce publiquement en faveur d’une union douanière de l’Empire britannique, et déclare qu’une telle réforme ne serait pas payée trop cher par le rétablissement de droits protecteurs sur des produits alimentaires et des matières premières à leur entrée en Grande-Bretagne. Sans doute, la plupart des délégués des chambres de commerce anglaises, ceux de Liverpool et de Manchester en tête, n’ont pas semblé partager ces idées, jugeant que leur application constituerait, quoi qu’en eût dit le ministre, une grave atteinte aux principes du libre-échange dont l’adoption avait tant contribué au développement de la puissance et de la prospérité britanniques. Mais ce milieu de commerçans où M. Chamberlain prononçait son discours est naturellement plus défavorable qu’aucun autre à toute restriction de la liberté des importations, et la froideur qui y a accueilli ses déclarations peut fort bien n’être pas partagée par le pays.

Pour qu’un politicien aussi avisé que M. Chamberlain se soit attelé, avec conviction, à cette tâche difficile de resserrer les liens qui unissent les diverses parties de l’Empire britannique, pour que les chefs des deux grands partis, lord Salisbury et lord