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qui pis est, le chancelier soupçonnait le pasteur d’y prétendre introduire en tapinois un pion nouveau, une sorte de Centre évangélique, parti mi-politique, mi-religieux, comme l’était le Centre catholique. M. de Bismarck avait trop d’un Centre, et il avait assez des prédicans.

C’est sur ces entrefaites que M. Stoecker, le 28 novembre 1887, dans une réunion demeurée célèbre sous le nom de réunion Waldersee, rencontra le plus beau succès et sans doute le plus grand malheur de sa vie. Devant un vaste auditoire, qui semblait rassemblé pour fêter les fiançailles entre la mission urbaine et certains cercles dévots de la cour de Prusse, une voix princière s’éleva. « En présence des tendances d’un parti anarchiste et incroyant, disait l’orateur, la plus efficace défense du trône et de l’autel consiste à ramener l’homme incroyant au christianisme et à l’Eglise, et par là, à la reconnaissance de l’autorité légale et à l’amour de la monarchie. Il faut, pour cela, mettre en valeur la pensée sociale chrétienne avec plus d’insistance qu’on ne l’a fait jusqu’ici. » Ce chrétien-social qui se révélait n’était autre que le jeune prince Guillaume, qui devait, l’année suivante, prendre la couronne impériale.

Combien immense fut l’effet de ces paroles, de quel débordement d’injures M. Stoecker fut l’objet dans les journaux dévoués au chancelier ou soumis aux influences juives, avec quel acharnement on dénonça le complot du bigotisme (Muckerei und Stoeckerei) contre l’hégémonie des Hohenzollern : le récit mérite d’en être lu dans la dernière brochure de M. Stoecker : Treize ans à la Cour. Les manœuvres hostiles furent victorieuses, et dans cet opuscule on peut suivre les déceptions successives de l’écrivain ; l’évolution qu’inaugura Guillaume II, en 1888, vers la politique du Cartell : l’adhésion plus notoire qu’il y donna en 1889, la défense faite à M. Stoecker de continuer son activité politique : et sa retraite finale, on 1890, de ses fonctions de prédicateur de la cour. De cette avalanche de désillusions, le résultat seul doit ici nous intéresser : la politique chrétienne-sociale, qui, en 1878, avait aspiré, vainement d’ailleurs, à pénétrer au Parlement en ne comptant que sur elle-même, sur Dieu et sur les ouvriers, et qui pendant les dix ans qui suivirent, désireuse d’un ascendant immédiat, avait fait appel, dans le pays, aux catégories d’électeurs les plus diverses, et dans le Parlement, au parti conservateur, fut tour à tour évincée, entre 1887 et 1890, des couloirs du Parlement, des antichambres du chancelier, de la chapelle du palais impérial.