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le Sahara, la Méditerranée se mariant au Niger. Active cité cosmopolite, trait d’union entre le monde blanc et le monde noir, elle verra du même coup son université, ses écoles sortir de leurs ruines, et la renommée de ses savans se répandra comme jadis jusqu’au lac Tchad, jusqu’au pays de Kong et à l’Atlantique.

Touchée de si grands bienfaits, elle ne sera pas ingrate ; elle élèvera sur ses places des statues aux Faidherbe, aux Borgnis-Desbordes, aux Archinard, aux glorieux pionniers qui ont préparé de loin son relèvement. On enseignera leur histoire dans les écoles, et les maîtres diront aux enfans : « Honorez-les ; ils pensaient déjà à vous alors que vos pères n’étaient pas nés. » « Dans le lointain des temps futurs, s’écrie M. Dubois, je vois Tombouctou ayant rejeté ses haillons d’aujourd’hui et redressé sa taille courbée par les malheurs… Je la vois apparaître superbe, lettrée, riche, reine du Soudan, telle qu’elle se dessine dans le lointain des temps passés, telle que son panorama en donne l’illusion au voyageur des temps présens. »

Les esprits chagrins l’accuseront sans doute d’être un rêveur. On lui reprochera de s’exagérer la richesse naturelle du Soudan. M. Jaime, par exemple, estime qu’on a beaucoup surfait la fertilité de ces contrées, que le sol maigre, aride, ne peut être cultivé que par le noir et que le noir est paresseux, que lorsqu’il a fait pousser dans son champ un peu de mil, de manioc ou de riz, il pense avoir fini sa tâche, se croise les bras, danse ou s’endort. Mais M. Dubois aurait le droit de répondre que pour que la terre produise, il faut que le cultivateur soit assuré du lendemain, que ce sont les incertitudes de son avenir qui rendent le nègre paresseux, que sa liberté précaire a dans tous les siècles couru de tristes hasards, que des conquérans rapaces et féroces lui ont disputé sans cesse le fruit de ses sueurs, que de toutes les institutions la plus nécessaire à l’Afrique noire, celle qui lui a toujours manqué, est une bonne gendarmerie, que nous serons le bon gendarme du Soudan, que nous avons toutes les qualités de l’emploi.

Cependant certaines circonstances que nous ne pouvons modifier s’opposent fatalement à ce que Tombouctou recouvre toute son importance d’autrefois. Comme l’a remarqué dans une intéressante notice M. le lieutenant-colonel Rébillet, attaché à la maison militaire de notre résident général à Tunis, le commerce soudanien tend à changer de direction ; il est comme drainé par les puissances européennes établies à la côte[1]. D’autre part la plus recherchée, la plus précieuse des

  1. Revue générale des sciences, n° du 15 décembre 1896.