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Il n’ajouta pas qu’il se sentait libre désormais de le renvoyer lui-même.

Il le fit dès qu’il eut réuni les élémens d’une nouvelle combinaison autour du frère même du ministre à évincer, Ferdinand Barrot, à qui cela valut le sobriquet de Barrot-Caïn. Autour de celui-ci se groupèrent des personnages qui avaient commencé à poindre sous Louis-Philippe, Magne, Achille Fould, deux généraux, d’Hautpoul et de La Hitte, un amiral, Romain Desfossés ; trois politiques tout neufs, Parieu, Rouher, le savant J. -B. Dumas.

Restait à instruire Odilon Barrot et la Chambre du changement. Barrot-Caïn fut dépêché à Bougival. Il y fut accueilli par son frère avec une telle loquacité confiante qu’il n’osa débiter son compliment. Cependant, au moment de sortir, la porte déjà entr’ouverte, il lui dit : « Tu ne sais pas, Odilon, on m’offre l’Intérieur. » — Mon pauvre Ferdinand, répondit Odilon, tu ne vois pas qu’on se moque de toi ! » Le pauvre Ferdinand, interdit, s’en alla sans rien dévoiler. Odilon n’apprit qu’il était remplacé que par une lettre du Président reçue le jour même où l’Officiel publiait la liste des nouveaux ministres. Pour adoucir la déconvenue, on lui envoya le grand cordon de la Légion d’honneur, qu’il refusa.

La communication à l’Assemblée se fit par un message. « La France, était-il dit, inquiète parce qu’elle ne voit pas de direction, cherche la main et la volonté de l’élu du 10 décembre. Or, cette volonté ne peut être sentie que s’il y a communauté d’idées, de vues entre le Président et ses ministres et si ces ministres ne le compromettent par aucune irrésolution, et sont aussi préoccupés de sa propre responsabilité que de la leur, et de l’action que de la parole. » Il affirme sa volonté de respecter la Constitution qu’il a jurée, de relever l’autorité sans inquiéter la vraie liberté, de dompter hardiment les mauvaises passions, d’affermir le principe religieux, sans rien abandonner des conquêtes de la Révolution, de sauver le pays malgré les partis et malgré même les imperfections de nos institutions. » Le message fut complété le lendemain par une déclaration de d’Hautpoul, qui, après avoir couvert d’éloges l’ancien cabinet, dit « que le ministère n’était pas formé contre la majorité, mais au contraire développerait avec énergie ses principes, et que les antécédens de ses membres en étaient les garans. » Sur quoi l’Assemblée, rassurée sinon satisfaite, ne permit pas même une interpellation sur l’événement.

Quelle était donc la véritable portée de cette révolution