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Rouher[1], de taille moyenne, robuste, la tête régulière, agréable, forte et claire, animée par des yeux éveillés, intelligens, d’une finesse qu’on avait parfois quelque peine à distinguer de la fausseté, montrait dans toute sa personne un air d’assurance et d’autorité, que ne gâtait aucune morgue et qu’adoucissaient des façons d’une captivante familiarité. Son grand-père était huissier à Riom, son père avoué, son frère aîné avocat. Après de bonnes études il fut envoyé à Paris. Il fit son droit en travaillant chez un avoué, c’est-à-dire, fort mal, tout juste assez pour passer ses examens. Le mouvement littéraire artistique et politique était alors fort intense, et les jeunes gens s’y mêlaient avec passion : les uns admirateurs d’Ingres, les autres de Delacroix, les uns sectateurs de Victor Hugo, les autres fidèles aux classiques, beaucoup républicains, quelques-uns socialistes, bien peu conservateurs. Rouher n’élevait pas sa pensée au-dessus de ses dossiers, et ne se préoccupait ni de peinture, ni de poésie, ni de politique. En revanche, nul ne figurait dans les bals du quartier Latin avec un entrain plus endiablé, ne troussait mieux un calembour ou un jeu de mots, ou ne chantait avec plus de verve les chansonnettes alors mises en vogue par l’acteur Levassor. Devenu second clerc dans l’étude de Me Rozier, il allait plaider les référés devant le président du tribunal et on l’y remarquait pour son assurance et sa facilité. Reçu licencié, il retourna à Riom ; son frère lui céda sa clientèle de première instance, ce qui lui fit aussitôt une situation importante. En cour d’assises, il ne tarda pas à en acquérir une brillante par la fougue, la forme imagée de ses plaidoiries. On accourait pour l’entendre. Vers 1840, il épousa la fille d’un avocat maire de Clermont, Conchon, nommé bientôt après conseiller à Riom à la suite d’un soulèvement populaire causé par le recensement Humann, dans lequel sa maison avait été brûlée. Rendu orléaniste par son beau-père, il se présenta en 1847 aux élections comme candidat de MM. Guizot et Duchâtel contre le député centre gauche, Combarel de Leyval. Il échoua. Quoique fort dépité de la révolution de 48, il en prit vite son parti, se représenta aux élections de la Constituante, se dit républicain autant qu’on le voulut, et fut nommé. Sceptique, déjà sectateur convaincu du « mandarin Je-m’en-f…, » selon une de ses expressions célèbres, il arriva à Paris tout prêt à se donner au plus

  1. Né à Riom le 30 novembre 1814.