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dans la rue ; l’Etat ébranlé paraissait raffermi ; la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique sauvés[1]. Toutefois dans les conciliabules secrets, dans les journaux rouges, ni le calme ni la tranquillité n’avaient succédé aux excitations et aux préparatifs séditieux. A côté des socialistes pacifiques recherchant d’un cœur fraternel l’abolition de la misère, les révolutionnaires purs continuaient leur propagande avec une indomptable ténacité. A peu près assurés des ouvriers des villes, ils s’efforçaient d’entraîner le paysan par le colportage, par la prédication des instituteurs. Ils travaillaient surtout à organiser la défection de l’armée. On attendait les soldats à la sortie des casernes pour leur glisser des brochures et des journaux ; on les conduisait dans des cabarets où, entre deux verres d’absinthe, on les pressait de se ranger du côté de leurs frères, de leurs parens, maudits de la vie et prédestinés de la souffrance comme eux. On faisait enrôler des démagogues auxquels on promettait des récompenses et des primes. Ces engagés faisaient la propagande des régimens et transmettaient à un comité central des renseignemens précis sur les dispositions des officiers et des soldats. Quand on pourrait compter sur deux ou trois cents hommes par régiment, on engagerait la bataille.

En dehors de ceux qui organisaient la subversion, qui blâmera les ministres d’avoir pris des mesures énergiques pour déjouer ces trames, et prévenir ces levées d’armes, pour contenir et châtier les instituteurs révolutionnaires et athées, éliminer les fonctionnaires convaincus de connivence au moins par la mollesse, refréner les clubs, pourchasser les conspirateurs, encadrer l’armée, afin de la rendre plus compacte et plus mobile, en quelques grands commandemens militaires ?

Mais ils ne s’en tinrent pas à cette œuvre légitime de préservation. Assaillant ceux qui ne menaçaient pas l’ordre social, et ne respectant pas ceux qui méritaient le respect, ils poursuivirent les républicains raisonnables, ils parurent s’acharner moins à l’anarchie qu’à la république. Etre noté comme républicain devint un motif de suspicion. Tout fonctionnaire soupçonné de ne pas souhaiter le retour d’une monarchie fut destitué. Avoir participé aux « journées funestes de Février », selon l’expression récente de Thiers, devint une cause radicale d’exclusion. A la tribune

  1. V. Hugo, Discours du 9 juillet 1849.