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aussi empirique, plus inefficace que celle de leur loi. Elle supprimait les électeurs capables et honnêtes, autant que les électeurs coquins ou ignares ; elle frappait au hasard, à tort et à travers, sans savoir ce qu’elle faisait ; elle n’organisait pas, elle mutilait. Enfin elle violait la Constitution de deux manières : en enlevant le suffrage aux trois millions exclus quand la Constitution l’accordait à tous sans exception ; en reculant jusqu’à vingt-cinq ans l’exercice du droit électoral pour les non-exclus, tandis que la Constitution le concédait à vingt-et-un ans.

Tel fut le fond solide de l’argumentation des républicains des diverses nuances, depuis Cavaignac et Grévy jusqu’à Victor Hugo et Michel de Bourges. « Vous rétablissez, dirent-ils, le cens, le pays légal ; sous prétexte de contenir ou de prévenir la révolution, vous la déchaînez, vous-même, car vous mettez un fusil dans chacune des mains auxquelles vous arrachez un bulletin. » — Les défenseurs du projet ne réussirent pas à rétorquer l’objection. Montalembert, le plus intrépide, l’esquiva par un de ces mouvemens de haute raillerie et d’indignation auxquels il excellait : « Savez-vous quels sont les ennemis de la Constitution ?… Ce sont ceux qui la représentent comme toujours violée et prête à l’être, qui en font une sorte de vestale pour rire dont la pudeur dérisoire serait la fable des carrefours et la risée des nations… Nous voulons défendre la société par tous les moyens que la Constitution permet et que la justice ne réprouve pas. Nous voulons la guerre légale au socialisme afin d’éviter la guerre civile… Nous voulons commencer contre l’anarchie une expédition de Rome à l’intérieur. On croit nous enfermer dans la Constitution comme dans une espèce de circonvallation ; nous avons trouvé une issue, l’issue du domicile, nous avons le droit et le devoir d’en profiter… On a dit dans un journal démocratique, le plus répandu de tous, qui n’a été désavoué par aucun de ses confrères, que nous, les dix-sept chargés de préparer la loi, nous avions voué nos têtes aux dieux infernaux… L’histoire des hauts faits de vos ancêtres nous apprend ce que c’est que les dieux infernaux de la révolution : c’est le choix entre l’échafaud ou le poignard démocratique… Eh bien ! ce sort je l’accepte et je le préfère à l’infamie et au mépris écrasant dont la postérité accablera ceux que la France aurait chargés de la sauver, et qui, en proie à une pusillanimité sans excuse, auraient livré la patrie déshonorée, la société trahie, la France éperdue, à la