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l’Assemblée l’assurance de la légalité de ses intentions et la rassurer contre tout empiétement de sa part. — Berryer refuse la mission. Ils ne seraient pas écoutés s’ils entreprenaient d’enlever à cet acte le caractère et la gravité que le bon sens lui attribue. L’Assemblée appréciera et avisera. Odilon Barrot ajoute quelques niaises adjurations ; on se sépare, et les Burgraves sortent en levant les bras au ciel.

Restait à prévenir Changarnier. S’il allait faire arrêter le messager ? On choisit un brave, Fleury. Il arrive en uniforme à 7 heures du matin. Pendant que le général saisi au saut du lit se frotte les yeux, il lui remet la lettre suivante : « Général, ce n’est pas sans de vifs regrets que je me vois forcé de vous annoncer ma détermination de supprimer le commandement dont vous êtes investi. La gravité des motifs qui me décident n’affaiblira en rien le souvenir de vos services passés, et, malgré notre séparation, je continuerai à compter sur voire concours, si jamais la patrie était en danger, de même que vous pourrez compter sur les sentimens que je vous ai voués. » — Changarnier pâle, nerveux, lit rapidement et dit : « Votre prince reconnaît singulièrement mes services. — Mon général, vous n’avez pas d’ordre à me donner ? — Non, répond-il, avec une colère contenue, vous savez bien que je n’ai rien à dire, si ce n’est que je vous accuse réception de ma destitution. » Fleury s’incline et sort. À l’Elysée, on respira quand on le vit de retour sain et sauf.

La nouvelle tomba sur l’Assemblée comme un cyclone. « Il a osé ! » se disait-on en se regardant avec stupeur, puis avec indignation, colère, fureur. Le véritable prétorien, c’était le général qui méditait de renverser la République et son Président et de se proclamer dictateur à l’aide de son armée : c’est le Président menacé, cantonné dans la Constitution qu’on accuse de l’être. Le perfide ! le tyran ! on évoquerait volontiers un nouveau Brutus contre ce nouveau César. Les uns parlent d’arrestation immédiate, d’autres de mise en accusation, d’autres proposent l’établissement d’un comité de salut public. Caveant Consules ! On se borne à nommer une commission pour aviser. Cette commission présente un ordre du jour par lequel « l’Assemblée, tout en reconnaissant que le pouvoir exécutif a le droit incontestable de disposer des commandemens militaires, blâme l’usage que le ministère a fait de ce droit et déclare que l’ancien général en chef de l’armée de Paris conserve tous ses titres au témoignage de