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éclatantes, nous serions tentés bien plutôt de demander qu’on nous permît de n’y pas trop songer. Pour notre part, si nous nous occupons à notre tour et après tout le monde de ces indiscrétions, on ne nous accusera pas de chercher le double plaisir de nous y délecter en les flétrissant. Nous ne voudrions qu’en dégager ce qui peut avoir trait à la littérature, fort oubliée dans toute cette affaire, et nous n’y trouvons qu’une occasion de fixer quelques points de l’histoire du romantisme.

Longtemps ç’avait été un dogme en France comme hors de France, que l’œuvre d’un écrivain doit être distincte et même indépendante de sa personne. Ni Corneille ni Racine ne nous ont entretenus de leurs maîtresses, et ce qu’ils nous en auraient pu dire ne nous ferait pas applaudir davantage Chimène ni Hermione. Les enquêtes auxquelles on a soumis la vie privée de Molière n’ont servi qu’à fausser l’interprétation de son théâtre et à répandre au sujet de ses comédies des erreurs grossières. Pour ce qui est de Shakspeare, le jour où on aura prouvé qu’il n’a jamais existé, ou, si l’on préfère, qu’il a été le prête-nom de quelque Bacon, le rôle d’Hamlet n’en sera pas devenu sensiblement plus obscur. Et ceux qui, à la manière de Montaigne, nous ont le plus abondamment parlé d’eux-mêmes, encore ne l’ont-ils fait que parce qu’il leur semblait trouver en eux la forme de l’humaine condition. C’est qu’en effet l’objet lui-même de la littérature leur paraissait être d’exprimer les sentimens généraux, les traits communs de l’humanité, ce qui d’un individu à l’autre a chance d’être pareil. Certes les événemens de la vie ne sont pas sans importance ; ils déterminent en quelque manière la sensibilité de l’écrivain, dirigent son observation, fixent son regard sur un aspect de la réalité. Ils sont le point de départ, l’instrument, le moyen sans valeur propre et de soi-même indifférent. La part de réalité objective que l’écrivain a découverte par ce moyen importe seule. Dans la seconde moitié du siècle dernier, sous des influences diverses et d’après l’exemple de Rousseau, tout change. Au lieu de se rapprocher de l’ensemble des hommes et de se fondre dans leur communauté, ce que cherche au contraire l’écrivain, c’est à s’en distinguer. Il met sa vanité à être différent des autres. Ce qu’il apprécie en lui et qu’il tâchera de faire saillir, c’est ce qu’il y trouve d’exceptionnel et d’unique. Il se fait le centre de tout, rapportant tout à lui seul, et persuadé que tout ce qui le touche doit par cela même solliciter la curiosité, provoquer l’intérêt du genre humain. Il s’expose aux regards. Il se donne en spectacle. Il se met en scène.

C’est précisément ce qui arrive pour George Sand et Musset. Puisqu’ils sont des gens en vue et, si l’on veut, des artistes en