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rares. Secondaire — pour ne pas dire inférieur — par ce qu’il a d’exceptionnel, ce genre ne l’est pas moins, en musique surtout, parce qu’il reproduit ou décrit les choses plutôt que les êtres. Or les êtres, de préférence aux choses, l’humanité, beaucoup plus que la nature, voilà le sujet de la musique. Il y a relativement peu de paysages musicaux, et pas un n’est un chef-d’œuvre de premier ordre, qui ne soit en même temps un chef-d’œuvre d’ordre universel ou tout au moins général.

Pour la musique en outre l’exotisme présente un danger particulier. Et ce péril — qui peut au premier abord sembler un avantage — n’est autre que l’existence même d’une musique exotique. La musique est de tous les arts le plus répandu, le plus pratiqué chez les êtres primitifs ou sauvages. Il y a des peuples — comme les Arabes, et les musulmans en général, — qui ne possédèrent jamais de peinture ni de sculpture ; leur architecture est morte ; mais ils ont une musique, leur musique. Pour exprimer ce qu’ils ressentent, ce qu’ils imaginent ou ce qu’ils voient, pour rendre leurs pensées, leurs passions ou les spectacles qu’ils contemplent, à défaut des couleurs et des formes, ils disposent des sons ; leur âme et leur pays même, qui ne savent que chanter, chantent du moins sur leurs lèvres, sur leurs darabouks et leurs flûtes de roseau. Ces chants, indigènes et authentiques, ces voix réelles de l’Orient véritable, il est naturel que, voulant faire de la musique orientale, les musiciens que nous sommes s’en emparent et les transcrivent. Tandis qu’au peintre, au sculpteur, la nature et l’humanité là-bas ne fournissent que des modèles, elles offrent au musicien quelque chose de plus : un commencement ou une ébauche d’art, une expression, une imitation première et qui peut, étant la plus directe, paraître d’abord la plus véridique.

Elle ne l’est cependant pas, au moins dans le sens supérieur du mot. Et d’abord quelle vérité peut contenir le chant oriental le plus fidèlement noté ? Une vérité relative, je le crains. La couleur locale existe en musique, mais elle y est un peu sans nuances, et pour la musique la géographie se montra toujours d’une tolérance singulière. Il n’est pas de concession qu’elle ne lui fasse. En sa faveur elle comble les mers, abaisse les montagnes ; elle agrandit encore l’inconnu, l’infini de ce mol et de ce monde : l’Orient. Elle rapproche et mêle au besoin les peuples divers. Entre une mélodie hindoue et un thème arabe, l’oreille la plus musicale hésiterait peut-être. Les savans se sont étonnés de retrouver dans les brumes de Bretagne les modes et les rythmes de la radieuse Hellas, et que les Korrigans et les