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est-ce l’Inde qu’il salue ainsi ? Je ne sais. En tout cas, c’est une nature inconnue et splendide, un ciel dont le trémolo des violons à l’aigu trahit le chaud et lumineux frisson, une terre dont on entend battre la vie et comme le sang vierge, dans la sourde pulsation des timbales. — Vérité largement humaine et morale, car à la nature s’unit et se mêle l’âme du héros, du conquérant conquis par sa conquête. Il y a quelque chose ici comme le mariage de Loti élevé au sublime ; oui, des noces aussi, mais colossales, cosmiques autant qu’humaines, don réciproque et total d’une créature et de la création. — Vérité enfin que j’oserais presque appeler coloniale, car cette musique respire l’orgueil même, l’amour de la patrie accrue, enrichie et glorifiée par un de ses enfans…

Et maintenant recueillez toutes les mélodies de l’Orient et rassemblez tous ses musiciens ; remplacez l’orchestre anonyme de Meyerbeer par un orchestre algérien, hindou ou japonais, l’air de Vasco par une authentique bamboula. Bornez-vous à transcrire, à photographier, et vous pourrez choisir encore une fois entre la copie conforme et la ressemblance, entre l’exactitude et la vérité.

D’exactitude pourtant nous sommes devenus plus soucieux. Des savans, — qui sont aussi des artistes, — un Gevaert, un Bourgault-Ducoudray, un Tiersot, ont commencé de fixer l’histoire — et la géographie — de la musique. Ils ont regardé plus attentivement qu’on n’avait fait encore, dans le temps et dans l’espace ; ils ont fouillé les siècles et les horizons. Le sens s’est éveillé d’une archéologie plus sûre et d’un exotisme plus précis. On a mieux connu les modes, les rythmes antiques, populaires ou étrangers ; on les a même pratiqués. Nul ne l’a fait avec plus de science, plus de goût et parfois de bonheur que M. Bourgault-Ducoudray. L’auteur de Thamara et de la Rapsodie cambodgienne est dans la musique d’aujourd’hui quelque chose comme le ministre des colonies ou plutôt le directeur du Jardin d’acclimatation. De notre goût pour une ethnographie moins sommaire, pour la représentation de l’Orient par la musique orientale elle-même, Thamara sans doute est le meilleur produit et le plus sûr témoignage. Cette œuvre, au second acte surtout, est vraiment originale par l’appropriation constante à la polyphonie moderne — la plus raffinée et la plus complexe — de tous les élémens : rythmes, modes, mélismes, de la mélodie antique et orientale. De cette rencontre, le musicien a tiré mieux que des effets pittoresques et décoratifs : dans un duo d’amour, dans un lamento funèbre, il a noté les sons, nouveaux à notre oreille, que peuvent rendre des âmes différentes des nôtres sous le coup de