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atteinte d’un de ces maux intérieurs que jusqu’à présent, la chirurgie moderne elle-même n’est pas parvenue à guérir. Aussi, lorsque dans la nuit du 29 au 30 mars 1690, elle eut un long évanouissement, se jugea-t-elle sur-le-champ perdue, malgré tous les efforts qu’on voulut faire pour la rassurer. Bossuet était son premier aumônier. Elle le fit appeler, et lui demanda si elle pouvait communier en viatique. Bossuet l’y autorisa. Il célébra la messe dans sa chambre, et, avant de lui administrer la communion, il retrouva sans doute quelques-uns de ces accens qui, vingt années auparavant, avaient ému et rassuré à la fois le cœur troublé de Madame. « Le discours de M. de Meaux, disent les Mémoires de Sourches, fut très beau et très édifiant, de sorte qu’il tira les larmes des yeux du Roi et des assistans[1]. » La Dauphine fit preuve d’une grande fermeté. « Elle fit venir les princes ses enfans, et ne s’ébranla pas des grands cris que jeta monseigneur le duc de Bourgogne, et prit même le soin de le consoler en lui disant qu’elle n’était pas aussi mal qu’il se l’imaginait. »

En effet, elle languit encore un mois. Pendant cette longue agonie, la Cour continua son train et Monseigneur ses chasses. On la croyait un peu visionnaire, et on ne voulait point se rendre compte de la gravité de son mal. Le 19 avril, elle perdit connaissance, et l’on crut qu’elle allait passer. Mais, ayant repris ses sens, elle voulut recevoir derechef le viatique et l’extrême-onction, qui lui furent encore administrés par Bossuet. Elle fit venir ensuite ses trois enfans, et s’entretint séparément avec les deux aînés qui avaient déjà âge de raison. Avec le dernier, qui n’avait que trois ans, elle s’attendrit : « Berry, Berry, lui dit-elle, tu sais que je t’ai toujours aimé, mais tu me coûtes bien cher. » Elle s’éteignit doucement en présence du Roi, Monseigneur étant dans la chambre à côté. « Le Roi demeura quelque temps à genoux au pied de son lit, priant Dieu pour elle avec larmes; ensuite, il sortit de sa chambre, et ayant trouvé Monseigneur dans celle où il l’avait fait passer, il lui dit : « Mon fils, vous voyez là un bel exemple, et qui doit bien nous faire penser à nous-mêmes, car l’un plus tôt, l’autre plus tard, nous mourrons tous comme vient de mourir madame la Dauphine. »

Les funérailles de la pauvre princesse, qui mourait ainsi à trente ans, furent célébrées avec beaucoup de faste. Dangeau, qui en a laissé un minutieux récit, fut ce jour-là douze heures à

  1. Mémoires de Sourches, t. III, p. 228 et suiv.