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Manuel II roi des champs de Cuba, jusqu’à ce que « l’humble sacristain de la paroisse de Arcos de Canasi » abattît sa couronne toute neuve et le tuât, en la bodega de Seborucal, dans la nuit du 24 février 1895. — Pour la prospérité, il est certain que cinquante ans de trouble, précédant dix ans de guerre, eux-mêmes suivis d’à peine vingt ans de paix boiteuse n’ont pu que médiocrement la servir ; mais, répondent les Espagnols, est-ce bien aux Cubains de nous en faire un crime ? Et que vont-ils chercher des coupables hors de Cuba ?

« L’instruction, disent-ils, l’Espagne les a laissés sans instruction. » Mais, du côté espagnol, on répond : Eh quoi ! n’y a-t-il pas à la Havane une université complète : facultés des sciences, de philosophie et des lettres, de médecine, de pharmacie, et de droit ? N’y a-t-il pas à Cuba des collèges et des écoles primaires ? le recteur de l’université de la Havane ne nomme-t-il pas une partie des maîtres et des maîtresses de ces écoles ? Et le recteur ne peut-il pas être Cubain ? la preuve qu’il peut l’être : D. Joaquin F. Lastres est Cubain, et le vice-recteur est Cubain, et les doyens de toutes les facultés sont Cubains ; et sur 80 professeurs, 60 sont Cubains. On en convient : il est de mode à Cuba de dédaigner et de dénigrer tout ce qui est espagnol : rien ne vaut qui ne soit américain, anglais ou, au moins, français ; mais l’américain fait prime. Il n’y a de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, de littérateurs, de mathématiciens et de naturalistes qu’américains : il n’y a de nouvelles, d’histoires, de traités de physique, de revues et de journaux qu’américains. Mais l’Espagne en est la première victime ; et que les Cubains se refusent à penser en espagnol, elle n’en peut mais, et elle en gémit.

« L’Espagne s’est montrée incapable de gouverner et d’administrer Cuba. » Sur quoi les Espagnols reprennent : « Les lois des Indes, las Leyes de Indias, qui ont longtemps régi nos colonies, étaient humaines, sages, et les meilleures qui pussent alors être faites et appliquées. Nous reconnaissons sans peine qu’elles ont vieilli et que l’esprit moderne ne s’en accommoderait plus. Aussi ne pouvions-nous refuser et n’avons-nous pas refusé de leur en substituer d’autres. Il se peut que, depuis les catastrophes du commencement de ce siècle, l’Espagne ait eu une politique coloniale incohérente et décousue, ou même, ou plutôt, n’ait pas eu de politique coloniale. Les luttes constitutionnelles contre le pouvoir absolu de Ferdinand VII, les guerres civiles qui ont ensanglanté