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LA RELIGION DE LA BEAUTÉ
ÉTUDE SUR JOHN RUSKIN

III.[1]
SA PENSÉE

La sagesse antique disait : < Nous ne descendons jamais deux fois dans le même fleuve. » Tous ceux qui ont étudié l’homme de Brantwood ont envie de dire : « Nous ne lisons jamais deux fois le même Ruskin. » Ses contradictions ont fait la joie de ses adversaires et sillonné de rides les fronts de ses disciples. M. Augustin Filon écrivait un jour qu’il se chargeait d’extraire des œuvres de Ruskin les doctrines les plus contradictoires, et M. Whistler s’est diverti, en un gros volume, à en tirer des aphorismes qui peuvent rivaliser, pour leur clarté, avec les Arrangemens en noir du célèbre artiste américain. Quand on lit une page du Maître, on croit saisir sa pensée; quand on en lit dix, on hésite ; quand on en lit vingt, on renonce. Toutes les subtilités, tous les ondoiemens, toutes les circonvolutions de ses divers systèmes esthétiques, religieux et sociaux, en font un enchanteur impondérable, insaisissable, qui, si on le veut enserrer dans une formule logique, se dérobe en fumée, comme ce génie des Mille et

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1895 et du 1er juin 1896.