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rendre avec une exactitude à peu près absolue jusqu’aux moindres nuances des gouaches originales. Les planches hors texte notamment, tirées en taille-douce à la manière des estampes en couleur du XVIIIe siècle, ont un charme et une fraîcheur inimaginables. Mais en vérité, c’est le livre tout entier qui est un monument sans pareil; caractères, papier, couverture, tout y témoigne d’un soin et d’un goût parfaits: tout y sert admirablement l’admirable intention de l’auteur


IV

Que si l’on nous demandait, après cela, si cette intention s’est trouvée réalisée, et si M. Tissot est vraiment parvenu à nous ramener de Palestine la figure vivante de Jésus, une réponse précise nous serait difficile. Ou plutôt, hélas! nous devrions répondre que, cette fois encore, le miracle espéré ne s’est pas accompli. Avec une éloquence et une poésie magnifiques, M. Tissot nous a restitué, pour ainsi dire, tout le décor de la vie du Christ : mais la personne du Fils de l’Homme, sa vivante figure à la fois humaine et divine, persiste, comme naguère, à nous échapper. En vain nous contemplons le jeune mage inspiré qu’on nous montre s’avançant, le long des sentiers rocheux, avec tant de grâce et de majesté ; en vain nous essayons de l’approcher, d’éprouver à son contact la chaleur sacrée. Dans ses miracles même, ce n’est toujours qu’un jeune mage, un thaumaturge d’Orient charitable et fort ; ce n’est pas le Dieu que nous cherchons, l’adorable Jésus qui manque à nos cœurs.

La faute en est-elle à M. Tissot, qui, tout comme M. Loti, aura « laissé fuir » le fantôme ineffable? Ou bien s’est-il trompé, et nous sommes-nous trompés avec lui, en supposant que la foi pouvait rentrer dans nos cœurs par la voie des sens? Nous craignons bien, en tout cas, que le beau livre de M. Tissot ne convertisse personne. Ceux qui ont cessé de croire en Jésus ne verront là qu’un essai curieux de reconstitution historique, quelque chose comme une illustration, infiniment documentée et précise, de la vie d’un illuminé galiléen d’il y a dix-huit siècles. Et quant à ceux qui ont pu garder leur foi, ou qui, par un miracle plus étonnant encore, l’ont désormais reconquise, ils continueront à rêver d’un Christ qui n’est point celui-là, d’un Christ pour ainsi dire moins