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« renvoyés à la boucherie[1]. » Ce mouvement de l’opinion, qui se répercutait partout en Europe, entraîna les cabinets, et après Navarin, le gouvernement ottoman dut se résigner à reconnaître l’indépendance de la Grèce.

Cette longue crise, si vivement agitée par la presse, si diversement envisagée par les chancelleries, et finalement résolue par l’emploi de la force, fit éclore la conviction que l’existence de la Turquie était irrévocablement mise en cause ; l’éventualité prit rang dans les préoccupations de tous les cabinets indistinctement, chacun la considérant du point de vue de ses intérêts propres. Qu’on voulût son salut ou sa ruine, on avait, en tout lieu, des raisons de premier ordre pour surveiller la Porte dans la voie périlleuse où elle était engagée, pour contrôler ses actes ; nous en dirons tantôt les motifs les plus impérieux. De là ces conflits diplomatiques qui ont conduit parfois les cabinets à s’inspirer de vues contradictoires dégénérant, en plus d’une occasion, en luttes sanglantes : c’est ainsi qu’après avoir mis la Turquie, durant la guerre de 1829, si près de sa perte, les Russes sont accourus sous les murs de Constantinople en 1833, pour défendre l’Empire contre l’agression de Mehemet-Ali ; — c’est ainsi qu’en 1840 les puissances prirent les armes pour maîtriser définitivement l’ambitieux pacha ; — c’est ainsi enfin que furent engagées la guerre de Crimée entreprise pour garantir au sultan l’intégrité de ses possessions, et la guerre de 1877 dont la Russie prit l’initiative pour mettre fin aux sévices dont les chrétiens étaient les victimes en Bosnie et en Bulgarie, et qui a amené la délivrance de ces deux provinces.

Quels qu’aient été la cause et le résultat de ces complications diverses, la Porte en est toujours sortie plus démembrée ou plus affaiblie. Il s’en est suivi, dans les esprits, cet état d’exaltation haineuse dont nous avons recueilli dans le cours de cette étude les manifestations successives et d’où sont nées les scandaleuses atrocités qui ont si profondément ému l’Europe. L’opinion révoltée a sommé les gouvernemens de mettre fin à un état de choses si cruellement affligeant.

A quels moyens est-il permis ou possible de recourir pour y remédier ? L’expérience et les antécédens n’en révèlent que deux : déposséder le sultan des territoires qui sont les lieux d’origine

  1. Œuvres complètes, t. VIII ; Ladvocat, éditeur.