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II

Depuis lors, par la faute des hommes ou par la force des choses, les mauvais momens ne lui ont point été épargnés. Il suffira sans doute ici de rappeler les deux plus formidables de ces crises. L’une — le boulangisme, — remonte si haut qu’elle est déjà presque sortie de la mémoire d’une génération oublieuse. La seconde — le panamisme, — n’a peut-être pas encore vu se dérouler ses dernières conséquences.

La première de ces aventures a eu un nom qui restera marqué en lettres de feu dans l’histoire de notre pays. Victorieuse, elle se fût appelée le déshonneur : on avait naïvement espéré qu’elle servirait de préface à une bienfaisante réaction. Il n’est guère besoin de s’étendre sur cette entreprise où chacun, croyant duper les autres, s’est soi-même dupé et a laissé, avec un lambeau de son honneur, les chances de son avenir. Si triste que soit la banqueroute morale des complices de ce coup manqué, il y a quelque chose de plus triste encore, et c’est que cette grotesque équipée ait failli réussir. Peu s’en est fallu que la France se jetât aux pieds du général de la revue et de l’écuyer du cheval noir. Il n’y a pas d’ailleurs à tirer vanité de l’échec d’un mouvement qui a beaucoup moins avorté par l’effort concerté et laborieux d’un esprit public maître de soi que par un heureux concours de circonstances, dont la moindre ne fut pas l’indignité et l’incapacité de l’idole populaire. Un pays qui a échappé à l’humiliation d’un césarisme sans César peut se féliciter de sa bonne fortune : il lui reste quelque lieu de rougir de ses caprices et de trembler de ses entraînemens.

Aussi bien, quand l’astre du boulangisme se fut couché, comme il s’était levé, derrière un horizon sombre et bas, la France se sentit soulagée, mais non libérée. Le panamisme, — par où j’entends les scandales compris d’ordinaire sous ce vocable, et j’y ajoute ceux de leur prétendue répression, — n’a guère été qu’un nouvel accès du même mal. Rien assurément n’est plus loin de ma pensée que de calomnier gratuitement notre pays de France en lui attribuant le monopole de ces hontes. Un coup d’œil jeté par delà l’une quelconque de nos frontières suffit à démontrer qu’en l’espèce pas un peuple n’a le droit d’affecter de plaindre ou de railler L’autre. Si le royaume d’Italie, avec son